Yannick se distingue de la production usuelle de Dupieux par la force et la profondeur de son pitch – dans ce qu’il peut faire résonner de violence symbolique, dans tous les enjeux sociaux qu’il réveille. Et cela bien que l’écriture chez lui conserve ce mélange de précision (dans les dialogues, dans la brutalité des situations) et de fainéantise : il est difficile, en voyant Yannick déambuler parmi le public, entamant la discussion au hasard avec telle ou telle personne, de ne pas imaginer Dupieux, derrière son clavier d’ordinateur, improvisant de même en se demandant ce qu’il va bien pouvoir écrire pour tenir son heure réglementaire de métrage. Le personnage de Pio Marmai, aux ressorts transparents, nourrit le scénario de rebondissements un peu artificiels, et la médiocrité appuyée du trio d’acteurs sur scène ferme au final plus de portes qu’il n’en ouvre…
Si le film convainc malgré tout, c’est parce qu’il a l’intelligence de se construire sur le plaisir à voir les acteurs au travail, d’un Raphaël Quenard au sommet, composant un petit garçon fragile (son dernier plan est magnifique), jusqu’aux multiples et formidables seconds rôles d’otages (Agnès Hustel, passionnante et touchante en une dizaine de plans). Anoblis par une lumière de théâtre qui donne à leurs micro-péripéties une sévère élégance, voire des échos de tragédie (la confrontation sociale est ici une scène, littéralement), les comédiens permettent aux nuances et subtilités de ce récit-manifeste de se déployer, de prendre de la chair, au-delà du pitch malin.
Il y a cela dit dans ce projet une étrangeté : la pièce qu’on joue (un boulevard merdique) n’a aucun rapport avec ce que le film entend ici égratigner (le statut de l’art et de l’artiste, une œuvre culturelle hermétique au peuple, veine qu’incarne entre autres ce vieux membre lettré dans le public). Ce sur quoi Yannick prend sa revanche, ce n’est en somme pas très clair, en ce que la pièce de théâtre à laquelle il s’attaque est le contraire d’une quelconque expression de l’élite. Est-ce que cela torpille le propos du film, ou lui permet au contraire de ne jamais verrouiller sa parabole ? Yannick continue surtout, au fond, à poser la question de savoir si le je-m’en-foutisme patent de Dupieux aide ses films ou les dessert, s’il les limite ou reste une partie non-négociable de leur singularité.