Si l’on excepte Titicut Follies (son tout premier film en hôpital psychiatrique), Welfare est le premier “gros morceau” que je vois de la filmographie de Wiseman – le hasard fait en effet que je ne connaissais jusqu’ici de sa filmo que les films mineurs ou secondaires. Sans conteste, Welfare a quelque chose de grand : aucune des scènes, aucune des situations n’est faible ou dispensable, la structure d’ensemble a quelque chose d’à la fois implacable et majestueux. Wiseman parvient, par-delà la fascination du cinéma direct et de ses morceaux de vie bruts arrachés au réel, à dessiner un enfer cacophonique, croulant sous une tornade kafkaïenne de papiers en tous genres (on a ici une capsule historique saisissante de ce qu’était le monde administratif pré-informatique). Les visiteurs – dont on reconnaît régulièrement certains au détour d’un plan – semblent enfermés dans ce labyrinthe de salles d’attente peuplées à ras bord, comme coincés là jusqu’à la fin des temps.
Mais malgré ces qualités, je reste dubitatif devant la durée du film – que ce soit celle des scènes seules, étirées jusqu’à leur dernière goutte, ou celle du film entier. Il se lit peut-être là, dès ce film relativement jeune dans la carrière de Wiseman, l’ambition de créer le documentaire-monument de référence sur le sujet ; mais il en résulte surtout l’impression d’un film qui s’endure et se subit, ne laissant aucune seconde de répit au spectateur, le noyant sous un flot de paroles tendues (en se montrant par ailleurs assez complaisant avec n’importe quel orateur décidant de débiter des conneries pour épater la caméra), jusqu’à nous mener à un point épidermique où l’on a envie de baffer tout le monde, demandeurs comme employés – et c’est sans doute le but (nous faire prendre la mesure de la cocotte-minute), mais l’ensemble fonctionne alors davantage comme une simulation (“vis l’enfer d’un demandeur d’aide sociale”), que comme un film qui aurait fait des choix, qui aurait élu des moments, qui se ménagerait des hors-champ.
En cela oui, c’est du pur cinéma direct, en ce qu’il n’épargne rien de situations vécues, subies en entier, endurées dans toute l’expérience du présent. Mais c’est aussi ce qui rendra pour moi, il me semble, les films de Wiseman toujours potentiellement pénibles, y pénétrant comme on se préparerait à un marathon.