Bien qu’il puisse sembler nettement plus expérimental qu’All We Imagine as Light, Toute une nuit sans savoir en partage de nombreux traits : la forme fragmentaire et hétérogène, l’histoire d’amour empêchée par les divisions sociales, l’esthétique pellicule… Et tout comme All We Imagine as Light, il flirte avec un certain nombre de conventions : celle du documentaire politico-intimiste à voix-off affectée, la manie des stases sonores sourdes décrétant une profondeur hypnotique à des images d’archives qui n’en ont pas toujours, ou encore ces faux “documents trouvés” qui hurlent leur artificialité dès les premiers mots (le texte conjuguant maladroitement velléités poétiques et nécessité de communiquer au spectateur toutes les informations sur le contexte).
De par son côté hétéroclite et fureteur, le film parvient néanmoins souvent à trouver la tangente et à produire une note qui lui est propre, notamment lorsqu’il se fait moins démonstratif (par exemple par les vues impressionnistes, sourdes et flottantes comme un souvenir, qui nous font visiter le quotidien de la fac, transformant ce monde universitaire en un cocon intime et silencieux, encourageant un séduisant et dangereux repli sur soi). Quand bien même le film approche avec trop de sérieux les sempiternelles luttes étudiantes, dont la caméra semble ignorer l’occasionnel autisme et ridicule (manifs où l’on crie des noms de cinéastes, difficultés de montage relatées comme une tragédie, assemblées générales verbeuses…), la gravité et la violence à laquelle ces jeunes font face, comme la vitesse de la chute politique à laquelle ils assistent, se chargent rapidement de donner du poids à leur révolte.
C’est d’assez loin l’aspect le plus saisissant du film qui, par son image charbonneuse et son goût du nocturne, semble peindre un monde qui tombe peu à peu dans la nuit, et le crépuscule d’une démocratie qui meurt en direct – une sorte d’apocalypse qui donne au film une vraie portée tragique (comme le remarque pertinemment Vincent Poli dans les Cahiers, on croirait visionner une bouteille à la mer, envoyée à l’Occident qui regardait ailleurs, avec le parfum terrible d’un appel à l’aide reçu après la catastrophe advenue).
L’ensemble joue ainsi sans cesse avec notre estime, passant de coquetteries déplacées à des scènes réellement terrifiantes (cette vidéo de caméra de surveillance), de moments sincères de désespoir intime à des discours satisfaits… Il y a là beaucoup de promesses que le long-métrage à venir, plus égal (même si peut-être parfois moins original) parviendra mieux à concrétiser.
A Night Of Knowing Nothing en VO.