Légers spoilers.
Dans les grandes lignes, Tolkien ne surprend pas : il s’agit d’un biopic assez lisse, sans profondeur émotionnelle ni réelle prise de risque, rehaussé par le principe ludique un peu vain de récolter dans la vie de l’écrivain les indices qui pourraient évoquer son futur roman (la campagne d’enfance pour la Comté, l’Angleterre noire de la révolution industrielle pour le Mordor, etc.).
L’ensemble cependant se révèle étonnamment plaisant, et réussit même l’exploit de déjouer l’ennui propre au genre. C’est qu’à force de vouloir récolter les signes avant-coureurs du Seigneur des anneaux, le film se perd régulièrement dans le bain tiède et agréable de sa propre rêverie. Pour le dire autrement, la trilogie de romans n’y est pas tant le but, la finalité dérisoire vers laquelle chaque signe tendrait1, qu’un monde parallèle qui accompagne le personnage discret et rêvasseur – une sorte de réalité augmentée qui colore chaque étape de la vie de Tolkien d’évocation, de fantastique, d’un parfum particulier.
Évitant les circonvolutions pénibles propres à la plupart des biopics, le film ne tient ainsi pas tant à retranscrire les faits et leur chronologie (d’ailleurs souvent trahis), qu’à recréer des ambiance et des univers, à commencer par celui du groupe d’amis (quatuor adolescent enfoncé dans un salon de thé Harry Potterien, qui se présente lui aussi d’emblée comme une “réalité augmentée”, un âge d’or vu depuis la nostalgie des hommes adultes revenus du front : un cocon plein de chaleur, de couleurs, de complicités, et d’évocations). La guerre elle-même se retrouve approchée par le biais du merveilleux : quand bien même le film reste sage, ces visions rêveuses d’un conflit dégueulant de corps, d’un enfer de boue engourdi de brumes hallucinatoires, va chercher quelque chose de plus singulier que le pathétique ou le saisissement d’horreur.
Alors certes, l’ambition est absente de tout cela, le produit est sans aspérités et consommable, l’écriture des scènes toujours basique, et l’ensemble est à mille lieues de se confronter à l’œuvre de Tolkien en soi, ne serait-ce que dans son rapport amoureux au langage (souvent discouru par le film, jamais éprouvé par le spectateur) – le résultat de son travail d’écrivain est résumé à des figures et à de l’imagerie. D’une certaine façon, le film a la sagesse d’assumer sa relative superficialité en ce qu’il n’a aucune prétention à dissiper le mystère Tolkien, prudemment laissé tel quel – l’intégralité du récit s’aligne d’ailleurs sur cette pudeur, comme en témoigne la très jolie (car allusive, laissée secrète) histoire d’amour inavouée que lui porte l’un de ses amis.
Il reste que ce caractère bienveillant et ouvert au fantastique fait du film, en toute modestie, l’une des productions hollywoodiennes les plus digestes de ces dernières années – dans un contexte où Detective Pikachu apparait comme le sommet de l’offre de blockbusters estivale, on ramasse les miettes où l’on peut. On aimerait même y voir, avec un peu d’espoir, les premiers pas timides et tâtonnants d’un cinéaste qui, encore soumis à la discipline et aux académismes de ce genre de production, pourrait dans le futur explorer la note particulière qui est la sienne, lui donner toute sa dimension. Mais Dome Karukoski, venu de Finlande, n’en est pas à son premier long-métrage, et l’accueil tiède réservé jusqu’ici à ses films suggère qu’il faut voir là le maximum de ses honnêtes capacités d’imagier – plutôt qu’un jeune cinéma en puissance dont l’identité ne demanderait qu’à fleurir.
Notes