Quelques spoilers.
De ce dernier Star Wars, réputé être d’abord occupé à rattraper la colère des fans après l’iconoclasme de l’épisode VIII, j’avais eu des retours particulièrement désastreux, notamment côté scénario.
Force est de constater que, sur le plan du scénario, le film ne se défend pas si mal, que ce soit par la façon dont il parvient à refermer bon an mal an toutes les pistes de neuf épisodes, ou par les multiples belles idées dont il est parcouru : les échanges d’objets entre amants ennemis, le droïde traumatisé et la clé qu’il renferme, la description d’un totalitarisme mondial qui permet de ramener tous les oppressés au moment fatidique, l’identité de l’espion… Autant de choses qui auraient pu fleurir très joliment si on leur en avait donné la possibilité, c’est-à-dire de la place.
Car ce dont manque ce récit de manière flagrante, c’est de temps : il y a quinze films en un. La manière dont Poe navigue “par ricochets” dans les premières scènes, donnant à voir à chaque fois un monde différent le temps de quelques secondes, résume assez bien la manière d’un film qui, au lieu des trois ou quatre planètes auxquelles nous introduit habituellement chaque épisode, collectionne ici dix décors par bobines, tout en ayant pour mission impossible de relier les points : accumuler tous les caméos nostalgie, donner le change aux différents types de fans différemment déçus, justifier et réparer certains éléments des huit épisodes passés… On est presque impressionnés, pour tout dire, par la virtuosité maniaque des aléas scénaristiques déployés pour satisfaire à ce difficile exercice1.
Dans ces conditions particulières, les habituels défauts du style d’Abrams explosent : aucune scène n’a le temps de respirer, de se poser, de tirer les fruits des configurations mises en place, et la multiplicité des mouvements de caméra achève de donner à l’ensemble des allures de bande-annonce de 2h30. De ce zapping frénétique ne parvient à exister que la relation Rey-Ren (beau fil mélodramatique, qui a eu plusieurs films pour se construire), et l’agréable équipée d’amis qui, au centre du film, affronte les situations en groupe sur un tempo un peu plus posé (et plus proche du goût collectif sympathique des épisodes originels).
Pour le reste, on ne peut que regretter qu’un tel trésor de direction artistique (rehaussé par le goût d’Abrams pour les jeux de lumière et d’abstraction) se voie parfois expédié en seulement quelques plans. Le niveau supérieur de cette production (la finition, l’inspiration des différents mondes esquissés) laisse absolument pantois – avec chaque décor entrevu ici, il y a de quoi faire un blockbuster plus inspiré que tous les Marvels réunis. Surtout, les différents choix faits frappent par leur cohérence : j’avais déjà ici défendu la manière inspirée dont l’imagerie de la ruine, dans l’épisode VII, venait prendre le relais de l’usure caractérisant la première trilogie. Cette imagerie, Abrams lui donne ici une destination finale surprenante (en ce qu’elle est assez étrangère à l’univers Star Wars) et pourtant tout à fait logique : celle de la mythologie, des croyances archaïques et de leurs arrières-mondes, qui permet par ailleurs de faire genèse allusive aux différents élans religieux qui ont traversé la saga. Un point final logique autant qu’une nouvelle couleur apposée à la palette de la série, et qui serait stimulante si elle n’était pas si précipitamment exploitée.
Jusqu’au bout, et jusqu’à ce ratage qu’est ce dernier épisode dysfonctionnel, trop dense et fragmenté (et non frappé par l’indigence de l’anonymat, comme tant d’autres de ses collègues blockbusters contemporains), Star Wars sera resté une singularité en plein cœur du système hollywoodien.
Star Wars : The Rise of Skywalker en VO.
Notes