Albert, un chanteur des rues, habite dans une chambre sous les toits de Paris. Il rencontre la belle roumaine, Pola, dont il tombe amoureux. Mais son grand ami Louis, et le truand Fred, tombent aussi sous le charme de la jeune fille…
Il est toujours frappant de voir combien le son, chez certains cinéastes du début du parlant, fut pensé non pas comme une évolution naturelle, comme la prochaine étape logique d’une réalité mieux capturée, mais comme un “matériau à exploiter” sommé d’avoir une valeur artistique – sous peine de se voir refusé l’entrée. Un peu comme la couleur, lorsqu’elle se généralisa dans les années 60, sembla parfois devoir montrer patte blanche, ne pas avoir droit de se fondre dans le décor, forcée de justifier son existence par une expressivité constante…
René Clair a un rapport assez sévère au dialogue, n’en usant que parcimonieusement. Mais c’est une surprise de voir que face au son, son cinéma n’est pas défiant (comme put l’être celui d’un Chaplin, par exemple). Au début des années 30, les inserts de dialogues épars témoignent souvent d’une maîtrise technique encore déficiente : leur intrusion est gauche, le rythme est en recherche. Chez René Clair, au contraire, l’intermittence du dialogue est pleine de grâce – la parole disparaît quand on ferme une porte vitrée, puis réapparaît hors-cadre, se transforme en chant, qui se perd lui-même en musique de film ; ailleurs, dans une scène toute noire, c’est le dialogue seul qui nous sert de torche… Ravissement des aléas du son, qui glisse à l’écran comme entre les mains d’un prestidigitateur.
Cette libre circulation sonore est la meilleure manière, pour le film, de parler du peuple. C’est que le Paris que dépeint Clair, s’il répond certes déjà à la complaisance popu qui fera la marque du cinéma français, est avant tout affaire de réseau : les sons et les personnages circulent d’un appartement à l’autre, d’une fenêtre à la ruelle, tout se croise. Le quartier semi-piéton, enclave dans laquelle le plan d’ouverture plonge comme au fond d’un récif, est un grand terrain de jeu commun où la communauté, pourtant jamais convoquée par le scénario (pas d’enjeux de groupe, peu d’entraide), resplendit de tous ses feux. La libre circulation du son et ses métamorphoses expriment alors une idée difficile à expliquer : quelque chose comme la grâce du peuple, de par la variété et la plasticité de ses formes d’expression, de par ses humeurs changeantes (complicités et rivalités, amours et amitiés…) qui, par le son, varient aussi facilement que la météo. Le dialogue agité de deux bagarreurs, par exemple, se transforme tout naturellement en douce pantomime musicale, laissant l’image chanter de manière lunaire le conflit en cours, avant de le restituer au dialogue une fois l’affaire apaisée.
Cet art sonore funambule n’est pas inédit (il évoque volontiers Tati). Mais ce qui reste en bouche, dans cette étrange rencontre entre les derniers feux de l’avant-garde muette et les débuts du cinéma classique parlant, c’est surtout le lié du geste, son aisance et sa bienveillance, cette surprise de ne pas y sentir le mépris (pour les histoires, pour le public populaire aimant ces histoires…) qui suintait des films impressionnistes muets : il est surprenant, tout bêtement, de voir un film à expérimentations être aussi doux.
Il est intéressant de voir le grand réfractaire au cinéma français que tu es participer à la réhabilitation du plus ringardisé d’entre les cinéastes français (si on compare sa réputation avant et après la guerre): René Clair.
Pour ma part, je fais partie des détracteurs de ce que j’estime comme une vieillotte fantaisie en toc mais je comprends très bien ton éloge.
Hello Christophe !
Mais je suis le premier surpris, TOUT dans ce film est fait pour attiser ma haine. J’ai perdu tout mes repères, encore un peu et je vais aimer Carette.
Ça doit être une question de perspective : le folklore chansonnier me hérisse, ce que je connaissais de Clair (Entr’acte) me hérissait, du coup ça pouvait être qu’une grosse surprise dans le bon sens (quoique j’avais déjà vu venir le truc avec “À nous la liberté”, que j’avais aimé aussi). Soyons donc rassurés : maintenant j’attendrai du bon de son prochain et je serai immanquablement déçu.
Il est spécialement réhabilité, Clair ? J’ai l’impression qu’il est devenu sub-radar, j’en ai jamais entendu parler pendant mes études (sinon pour le muet dada).
Eric Rohmer a revendiqué son influence au moment de La femme de l’aviateur, Philippe d’Hugues l’encense dès que l’occasion se présente, Paul Vecchiali lui a alloué une excellente place dans son dictionnaire. Que des gens biens (pas des universitaires).