Onze ans ont passé depuis la chute de la République. L’alliance rebelle, mise au courant de la construction d’une arme dévastatrice, tente d’en récupérer les plans.
Légers spoilers.
Star Wars était la dernière diégèse à résister un tant soit peu aux névroses de l’époque : la dernière à ne pas encore être passée à la moulinette de ce filtre "adulte" (comprenez : réaliste, terne, frigide) qui permet depuis 15 ans au cinéma hollywoodien égaré, et à son public adolescent, de se rassurer sur le fait que oui, promis, ils ont bien du poil au menton. Rogue One restera comme le premier épisode à y avoir cédé : le film adopte une intrigue beaucoup plus prosaïque (concrète, militaire, stratégique), et des personnages sortis du schéma légendaire ou héroïque.
Et là vient une surprise. Car ce qui est frappant, et réjouissant, c’est que cette approche a l’effet inverse de l’anesthésie redoutée : elle met en lumière au contraire combien le merveilleux résiste, sans cesse mis en valeur qu’il est par sa manière de dépasser, comme une mauvaise herbe tenace, de l’enclume des conventions de son temps (pseudo-réalisme sentencieux, désenchantement crépusculaire, héroïne sortie d’un Young adult). L’obsession de Gareth Edwards pour les jeux d’échelle n’y est pas pour rien : il faut se rappeler ce moment, dans le tout premier Star Wars, où un petit vaisseau plongeait dans les couloirs de l’Étoile noire, et où en quelques images, une "planète" ronde (telle qu’on pourrait la voir dans le ciel) devenait un sol nervé de bâtisses et de corridors à taille humaine. Ce vertige du gigantesque et du minuscule est l’un des moteurs du merveilleux ; et par ses visions apocalyptiques (fuir la destruction d’une cité entière), ludiques (la planète avec "porte d’entrée") ou rêveuses (l’étoile noire somnambule en plein jour, flottant dans le ciel bleu), Edwards en retrouve toute la saveur.
La normalisation redoutée n’a donc pas eu lieu, mais Rogue One n’est pas sans problèmes. Son originalité est de se vivre comme un épisode secondaire (sans générique canonique, par exemple), ce qui résonne jusque dans son intrigue (des soldats anonymes, qui font un boulot ingrat, doivent se sacrifier au profit de la grande Histoire). Ainsi, même si le principe-même du scénario est de relier les points avec la saga, le film n’est pas pris dans l’ouragan référentiel qui écrasait Abrams (« comment retrouver la recette secrète de Star Wars »), et peut se permettre d’être autre chose : quelque chose comme une série B sans goût trop prononcé, où la mise en scène très lisible et fonctionnelle d’Edwards, une fois ses grandes visions mises de côté, témoigne d’une surprenante et agréable humilité.
Mais mis à part le final, où cette contrition s’exprime en une stupéfiante acmé martyre, le film a bien du mal à cueillir les fruits de son positionnement. La complexité morale promise en lieu et place de la légende (les bonnes causes méritent-elles de se salir les mains ?) laisse vite place à l’ennui, et le regard plus prosaïque posé sur la mythologie des films n’empêche pas celui-ci d’exalter, une fois de plus, la dimension religieuse de la Force avec une désagréable bigoterie. Le facteur humain, surtout, manque cruellement à l’appel, ne survivant qu’au travers du jeu usé et douloureux de Diego Luna, et échouant pour le reste à incarner tout ce qui devrait l’être (la relation père-fille, le film de groupe et d’équipe, les pertes successives d’une mission suicide : rien de tout cela ne parvient réellement à prendre corps).
Rogue One reste une bonne nouvelle dans l’histoire de Star Wars : ce matériau trentenaire, ici réellement malmené, prouve qu’il a assez d’identité pour devenir un genre à lui tout seul – comme les James Bond en leur temps –, et qu’il est capable de conserver son ADN malgré les modes et les cinéastes. Ce qui est plutôt de bon augure, vu l’usine à films que Disney compte désormais faire de la franchise…
Rogue One : A Star Wars Story en titre complet (VO et VF).