La vie de quatre fantassins allemands sur le front français, lors des derniers mois de la Première Guerre mondiale.
Légers spoilers.
Comme beaucoup de films sortis au croisement du muet et du parlant, Quatre de l’infanterie n’est pas facile à appréhender. Le ton lui-même y est incertain, et ce dès la première scène de « badinage », dont on ne sait vraiment si elle est censée être joviale ou sordide…
La guerre que filme Pabst est d’abord désenchantée : il n’y a là ni épique, ni lyrisme, ni tragique. Dès la première scène de bataille plongée dans le noir et la nuit, où le spectateur est balancé sans avoir eu le temps de vraiment s’attacher à un personnage, le rythme fragmenté et hagard donne aux combats l’allure d’un rêve marécageux où l’on s’enlise : les ellipses pleuvent, l’action est difficilement compréhensible, les enjeux éclatés. Le bombardement, étrangement calme, se subit comme un évènement brouillon et sans chronologie, pénible dans sa forme-même.
Cette sensation d’onirisme ne quittera jamais le champ de bataille : même en pause et en plein jour, la guerre prend des airs somnambules (la vie quotidienne trottine alors au premier plan – on mange, on cloue des croix – pendant que les bombes, imperturbables, continuent à exploser au fond de l’image). Les combats garderont toujours ce côté arythmique (hachés, peu compréhensibles, pleins de sons étouffés qui dessinent une guerre presque silencieuse, bizarrement tranquille) et l’impression première qui persistera est celle d’un à-peu-près général : grenades qu’on se renvoie comme au ping-pong, feu ami et ennemi confondus, hommes qui s’immobilisent pendant que d’autres courent à l’arrière – impression globale de voir un morceau de danse contemporaine en plein jour.
Evidemment, il est dur de trancher entre ce qui relève ici des maladresses de l’époque (les premières années du parlant donc, leur faux rythme, leur hybridité sonore – on trouve encore ici pas mal de passages sans paroles par exemple, ou encore un long morceau d’orchestre filmé entièrement), et ce qui témoignerait au contraire d’une volonté de représenter les évènements de façon singulière, en refusant de céder aux tonalités et imageries plus attendues : la guerre est ici plutôt déprimante (c’est-à-dire grise) que spectaculaire dans son horreur – et si elle est édifiante, c’est d’abord à l’usure.
Ce chaos peut aussi se comprendre comme une ambition réaliste, qui ne tiendrait pas tant à un haut degré de vérisme dans la représentation, qu’à l’absence d’idéal venant noircir, arrondir, ou romantiser les angles. Le regard de Pabst est d’abord analytique (plan sans ambigüité sur les jambes de la danseuse, description froide des files d’attente mesquines en ville…), et c’est paradoxalement dans les scènes les plus sobres, en intérieur, que la puissance de sa mise en scène se déploie. Ainsi en est-il du retour du soldat à l’appartement adultérin, véritable cœur du film et séquence magistrale de par sa précision lente, organisant avec une froide distance, mais aussi avec pudeur et compassion, tous les échanges et conflits entre trois personnages et deux pièces.
L’échec du film (qui reste malheureusement assez peu en mémoire), est sans doute ne de pas avoir réussi à bien marier ces deux énergies : de ne pas avoir trouvé un lien entre les scènes de batailles lunaires, et les moments de pause ou de permission, où le regard insensible se fait presque misanthrope. Il manque pour cela l’intermédiaire de vrais personnages, qu’on pourrait suivre à travers l’un et l’autre monde, mais qui sont trop vite éparpillés par le scénario pour constituer un relais émotionnel digne de ce nom. Ces deux films ne se rencontrent qu’à l’occasion d’un dernier segment édifiant, celui de l’hôpital improvisé (scène dont le ton indigné et traumatique semble presque accolé au film, qui n’avait jusque là jamais joué de cette corde). La précision clinique et glaciale (l’opération derrière rideau) y côtoie alors la structure disparate, presque baroque, jusqu’ici réservée aux scènes de batailles, pour aboutir à un étrange carnaval des horreurs.
Autant de choses qui font de Quatre de l’infanterie un film de guerre réellement singulier, à défaut d’être réussi.
Westfront 1918 en VO.