Quelques spoilers.
Si l’on est loin de la catastrophe que fut Eau argentée – Syrie autoportrait, le célébré Pour Sama repose, a minima, sur le même type de problèmes.
Le film a une matière première incroyable, que ce soit par sa force de témoignage (le siège d’Alep et son dernier hôpital vus de l’intérieur), ou par les moments spectaculaires qu’on y capte (bombardement vécu en direct depuis le bâtiment touché, sauvetage de bébé prématuré, passage de frontière à pied au milieu de la nuit…). La caméra est comme poussée par une pulsion survivaliste visant à tout enregistrer sans faire de tri ni se poser de question, à filmer jusqu’au plus horrible sans discriminer.
La question est de savoir quelle position adopter vis-à-vis de ces images, notamment par l’inévitable charge militante qu’elles portent en elles – ce qui ne veut pas dire qu’elles n’ont pas “raison”, mais qu’elles restent les images d’un des camps, fut-il celui des victimes, se mettant lui-même en scène à travers la sélection qu’il en fait (d’autant plus dans le sens où ces images, qui relevaient à l’origine d’un travail de journaliste, étaient d’abord tournées avec pour visée d’alerter le monde).
La juste manière d’approcher ce matériau explosif, le film la choisit sans trop d’hésitations : ce sera celle de l’émotion. On le remarque notamment par cette structure et ce montage admirablement bien troussés, d’une efficacité toute anglo-saxonne (c’est-à-dire impensée), accompagnés d’une musique sans ambigüité sur l’émotion qu’elle entend tirer de chaque moment. Et il y a là un problème, une gêne profonde, à voir que toutes ces images, déjà bouleversantes en soi, ne sont pas montées de manière à porter une idée (un regard qui dirait un rapport singulier aux évènements, qui viserait à ne pas faire d’elles leur propre fin), mais simplement maniées dans le but, à chaque fois, de tirer l’efficacité maximale de leur accumulation, d’en extraire le maximum d’impact et d’émotion – d’en faire, très vulgairement, des images-chocs.
Double jeu dangereux pour un film qui semble de fait utiliser la situation, et d’un spectateur qui se sent utilisé lui-même, le montage semblant uniquement occupé à chercher sur lui le bon bouton sur lequel appuyer.
Un exemple typique de cet acharnement est celui des enfants : ils parcourent le film tel un fil rouge, comme contre-point terriblement vitaliste au déchaînement de mort alentours, et comme une raison de résister ; mais ces enfants sont aussi autant d’images de celui que la réalisatrice porte en elle puis élève, et qui par leurs blessures renvoient constamment la cinéaste à la peur de ce qui pourrait arriver à sa propre progéniture (et au choix difficile qu’elle a fait de rester à Alep malgré tout). Il y aurait sans doute une façon, par le travail postérieur au tournage, de faire de cette spirale d’enfants morts et blessés arrivant à l’hôpital un chemin parlant d’abord de cette angoisse naissante. Or on ne voit qu’un défilé d’horreur choisissant les gamins parce que c’est le summum du crève-cœur, parce que c’est l’émotion et l’indignation à l’impact le plus assuré, dans une répétition qui ne crée rien d’autre qu’un effet de sidération.
Le tout étant mâtiné d’effets poétiques vaguement déplacés (reflet des lampes dans le sang par terre, voix-off inutilement emphatique), on ressort du film doublement mitigé : à la fois peu ému à force d’avoir senti que c’est tout ce que le film attendait de nous, essayant de nous traire au rendement maximum de nos affects pour s’assurer de notre indignation ; et vaguement gênés par la manière dont ces images auront été maniées. Reste, par-delà les problèmes du film, un document saisissant sur le massacre d’Alep, et sur le cadre psychologique dans lequel ses habitants l’on traversé.
For Sama en VO.