Pentagon Papers Steven Spielberg / 2017

Première femme directrice de la publication d’un grand journal américain, le Washington Post, Katharine Graham s’associe à son rédacteur en chef Ben Bradlee pour dévoiler un scandale d’État monumental, et combler son retard par rapport au New York Times…

 

Le décor du film, celui de journalistes au travail préparant la publication de révélations brûlantes, pousse inévitablement à comparer le film de Spielberg avec le récent Spotlight, film éminemment transparent, mais aussi plus humble.

Et à ce petit jeu, Pentagon Papers ne sort pas grandi… Bien sûr, le talent de Spielberg, la fluidité de sa narration et ses idées en cascade, sont sans comparaison avec la platitude du produit hollywoodien lambda : on s’installe devant l’écran comme devant le concert d’un vieux virtuose aguerri. Mais c’est là où le bât blesse : il est frappant de voir que ce génie ne sert ici que de bel habit à tout une somme d’académismes (avalanche de péripéties politiques compliquées, salles de travail en bordel où l’on s’éternise épuisés, réunion avec les pontes menaçants, spectacle de l’impression du journal…), académismes que jamais ce bel habit ne remet en question, ni ne dérange. La virtuosité au contraire souligne d’autant plus ce délicieux ronron – qui n’a pour lui, au mieux, que son écho très théorique avec l’actualité (servir d’objet anti-Trump ; gageons qu’il a tremblé).

Que reste-t-il alors ? Un autre sujet d’actualité, #metoo, reformulé ici via la peinture d’un féminisme qui s’éveille au soir de la vie de l’héroïne, qui évolue dans les hautes sphères du pouvoir. On a souvent, à raison, reproché à Spielberg d’être un progressiste de surface (et s’ignorant de surface), qui ne place les enjeux sociétaux – ici, l’affirmation d’une femme face au carcan des hommes – que dans la bouche de ses acteurs, dans les dialogues et les situations, dans l’exploration explicite des thématiques, comme on ferait ses gammes. Mais rien qui travaillerait les films dans leur inconscient, rien qui concernerait réellement la mise en scène.

Il en persiste quelque chose ici, dans le didactisme criant du film à ce sujet. Il reste que mettre une femme au centre de la mise en scène de Spielberg, au centre du film, au sens où elle en est l’enjeu, réveille un peu les habitudes de celui-ci. Les moments les plus vifs et inventifs du film en découlent, comme cette image de Streep encerclée d’une marée d’hommes en noir, se refermant sur elle à l’entrée d’une salle de réunion (de manière générale, Spielberg se montre extrêmement doué pour faire sentir, par le découpage, les micro-aléas et évolutions des rapports de pouvoir). Même si on a le sentiment que le film ne fait qu’effleurer son potentiel sur ce point (l’alliance entre la dame aisée et le pirate, formidable moteur humain, est pauvrement exploitée), c’est encore là que se situe sa part d’âme. Pour le reste, Spielberg, toujours plus coulant sur la pente d’une aisance à laquelle plus rien ne résiste, reste à patauger dans sa période mineure.

The Post en VO.

Réactions sur “Pentagon Papers Steven Spielberg / 2017

  1. Un petit tour par ici une veille de vacances s’impose car il y a un moment que je ne suis pas venu te lire et je trouve plus d’un article à rattraper.

    Bon je réagis d’abord ici car j’aurai vraiment préféré que l’on s’accorde sur ce film. Alors c’est vrai que je n’ai pas vu Spotlight… Et puis tu replaces The Post dans son contexte et il le faut. Mais Spielberg a-t-il déjà été à ce point engagé sur l’actualité ? Et, malgré l’urgence qu’il s’impose, quel savoir-faire ! N’est-il pas impressionnant de voir que jamais l’urgence à tourner ne gêne sa force narrative ni sa mise en scène ? Au contraire on dirait qu’elle donne à la fois son rythme au film à son inventivité. D’une part The Post est haletant et s’offre en parfait spectacle hollywoodien. D’autre part les images composées, la précision des cadres et leur teneur symbolique l’enrichissent considérablement (il y a le plan que tu décris et tant d’autres !) ; quand bien même le point de départ réside dans quelques “facilités” narratives et situations bien connues. Enfin, tu vois j’essaye de te convaincre. Je laisse en lien une note car je veux un peu insister. Et je ne sais dire si ce film a une âme, mais il est quand même autre chose pour moi qu’une somme d’artifices.

  2. Hello Benjamin, merci pour tous ces retours !

    Tu serais probablement atterré de la comparaison en voyant “Spotlight”, tant il est académique. Il reste que je m’y suis senti plus impliqué… Je lis bien tes arguments (tu as bien fait de me renvoyer vers ton article, je l’avais raté – et bien vu pour la domestique !), mais je reste un peu sur mon ressenti : toutes les qualités du film relèvent du travail d’orfèvrerie (force narrative, inventivité) plus que d’une urgence réelle qui habiterait le film. Si l’ennemi est bien Trump, j’ai bien du mal à sentir l’étau ou la phobie de ce qu’il représente, en voyant le film.

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