Oppenheimer Christopher Nolan / 2023

En 1942, convaincus que l’Allemagne nazie est en train de développer une arme nucléaire, les États-Unis initient, dans le plus grand secret, le “Projet Manhattan” destiné à mettre au point la première bombe atomique de l’histoire…

Quelques spoilers.
 

Oppenheimer m’a fait le même effet que le dernier Wes Anderson (qu’il côtoyait d’ailleurs dans le calendrier des sorties salle, et avec qui il partage le cadre d’une petite communauté de lotissements isolée en plein désert) : l’impression d’un cinéaste rodé et compétent dont on connaît à présent par cœur le style, les manières, les réflexes, les petits trucs et astuces, et qui semble condamné à une certaine forme de routine.

On est au musée des manières du réalisateur : acteurs en costumes balançant des phrases cool, monde terriblement frigide (décor stérile du désert, scènes d’intimité proprement pathologiques où il faut un bouquin pour jouir…), froncement de sourcil généralisé, jeux sur les sons saturés et les basses surlignant l’intensité majestueuse du moment, Rubik’s Cube temporel n’amenant pas grand chose à ce qu’aurait produit un simple récit linéaire… Les visions abstraites du feu nucléaire, particularité autoproclamée du projet, ressemblent à un tampon auteuriste apposé sur ce film pas vraiment pensé pour les accueillir autrement que comme des inserts clipesques, au gré d’un montage forcé.

Il domine au fond l’impression que la manière Nolan, à elle seule et sans chercher plus loin, sait très bien mener sa barque : le récit à tiroirs (et la narration frénétique façon Sorkin, avec ce flot de paroles offensives et défensives, façon réaction en chaîne), les thématiques patiemment dépliées, le défilé d’acteurs brillants… Tout cela est divertissant et efficace, et fait qu’on ne sent pas les trois heures passer (quand bien même cette efficacité se fait au prix de quelques facilités : Downey Jr. qui devient soudain très méchant, son avocat outré qui devient soudain très gentil et nous venge à coups de punchlines, et ainsi de suite).

Et on se dit, exactement comme pour Wes Anderson d’ailleurs, que Nolan pourrait se contenter de ça, de ce savoir-faire, sans avoir à montrer les muscles d’un auteurisme dont on se fiche, sans ces emportements cherchant à nous convaincre que son cinéma a encore des défis et des montagnes à soulever, alors qu’il n’est plus très loin de la formule. Le film se rêve grand, philosophe, mais tout comme son personnage, il n’est au fond pas très sûr de son propre propos, se plaçant seulement au carrefour des contradictions noueuses et irrésolues de son récit, moins intéressantes qu’elles ne se l’imaginent.

 

• Un petit mot sur la projection Imax, que j’ai testée à l’occasion de ce film. J’en ressorts mitigé : le procédé ne s’applique pas, comme je le croyais, à des scènes entières, mais uniquement à certains plans (notamment les plans d’ensemble). C’est à la fois relativement discret (peut-être aussi parce que l’écran du Pathé Villette n’a qu’un ratio de 1,90:1, ce qui n’est pas très loin du 2,20:1 des scènes “normales”), et en même temps tout de même assez visible pour qu’on ait toujours une semi-conscience du procédé à chaque saute (un peu comme c’était le cas pour le HFR d’Avatar). On se demande, surtout, quelle est l’utilité de cette sélection de plans élus : il y a, en l’état, tellement de plans tournés en IMAX, qu’on aurait pu tourner l’intégralité du film ainsi, sans avoir à jouer au yoyo entre les deux formats d’images.
 

Réactions sur “Oppenheimer Christopher Nolan / 2023

  1. Bon, moi j’aime Nolan. Et même si le film est encore plus massif, il m’ a plu. Je donne du sens à ses constructions complexes et ne vois pas chez lui le poseur que certains rejettent.

    Après, je sais pas si c’est moi qui colle naïvement mes idées à l’auteur, mais il me semble contrairement à ce que tu dis que le propos est aussi simple (dans une histoire certes alambiquée) que clair. Et le feu nucléaire déclenché me faisait méchamment cogiter après la séance. Et si la Guerre Froide ne s’était définie que par la crainte d’un conflit nucléaire généralisé, il me semble que l’on n’en ait pas encore sorti.

    A ce qu’il paraît le prochain Nolan sera un film de vampire. Quel effet aura le temps (et le montage du film) sur la créature ? J’ai déjà hâte de le savoir.

  2. Hello Benjamin ! Je sais pas, le propos sur Oppenheimer responsable / pas responsable me semblait un peu louvoyer…

    Je savais pour le projet de vampires, mais effectivement ça a l’air tout à fait adapté à ses jeux sur le temps (comme à son esthétique frigide). Pour le coup ça me rend réellement curieux.

  3. Sur le fond, il n’y a pas que cette histoire individuelle… Les états d’âme d’Oppenheimer ne m’intéressent pas tant, mais le film évoque une course, une précipitation qui me semble faire complètement écho avec notre époque où l’immédiat succède à l’immédiat (c’est là que le montage de Nolan trouve aussi du sens) et par conséquent de remettre la Guerre froide dans l’actualité et la question des responsabilités à une autre échelle. En tout cas, j’arrange mon plaisir de spectateur avec ces tergiversations-là.

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