Parce que ce blog fête ses un an. Et que oui, ça n’a pas grand chose à voir avec la choucroute, mais je l’écris quand même je suis un ouf.
Keep the Lights On
Ira Sachs / 2012
Erik et Paul se rencontrent un soir pour une aventure sans lendemain mais, très vite, décident de se revoir. À mesure que se développe leur relation, les addictions de Paul deviennent problématiques.
Un milieu artistique new-yorkais à baffer, de l’autobiographie frontale à scènes de fesses, un héros qui se complaît à subir, de grands discours impudiques en public, une flopée de tics naturalistes… Comment ce film, qui fait un véritable triathlon des clichés de l’indé américain, parvient à être autre chose qu’un produit Sundance ? Keep the Lights On est un petit miracle, dont on peine à comprendre la recette. À y regarder de plus près, Ira Sachs semble tenir quelque chose dans son sens de l’ellipse : la relation de dix ans est moins “résumée” que recomposée, façon patchwork mental, par quelques moments-clé qui en distillent l’essence. Plus qu’à des péripéties du couple, ces segments renvoient chacun à un affect, à un état intérieur du personnage principal, souvent lié à une lumière : c’est un récit en photosynthèse, ultra-sensible aux tensions ambiantes, où les lueurs froides du jour dehors rencontrent le doré d’une lampe de chevet, où la pénombre urbaine dialogue avec le soleil rural. Ainsi, brique par brique, le film dessine un cheminement intime et mystérieux, qui dépasse les enjeux de la relation elle-même. Et si Ira Sachs peine à toujours bien tenir la barre dans sa seconde partie, il rejoint sans peine ce front de la douceur (Weerasethakul, Guiraudie, Hou Hsia-Hsien…) qui s’est constitué face au cinéma violent des années passées, et qui irradie dans ce film plein d’attentions, dont les images étranges et froufrouteuses sont comme une série de caresses.
The Delicious Little Devil
Robert Z. Leonard / 1919
Une jeune fille modeste, pour se faire embaucher comme danseuse et animatrice d’un night-club, usurpe l’identité de Gloria du Moine, scandaleuse amante d’un célèbre duc.
Ce petit film s’oublie aussi vite qu’il s’est vu : c’est une coupe de champagne. Qu’importe alors l’orgie de cartons trop longs, le surjeu de Mae Murray et ses moues dégueulasses, l’épilogue alignant les résolutions de quiproquos… Ce sont de vrais défauts, mais l’essentiel n’est pas là. The Delicious Little Devil ressemble à un croisement (peut-être commun, à ce tournant des années 20 ?) entre deux visions de l’Amérique pauvre : celle du cinéma des années 10 (ces appartements vides et miséreux qui peuplaient les mélodrames) et celle, plus cynique et débridée, des futures années de crise, où cette misère autrefois subie se retourne en insolence. On a là comme une anticipation des saveurs du précode, auxquelles on aurait soustrait le désenchantement. Reste alors un film à l’impressionnante vitalité, qui tient certes à son caractère sautillant (léger, joueur, anodin), mais aussi à la profondeur de sa mise en scène. Au sens littéral : le comique, qui en soi n’a rien de fondamentalement génial, est toujours pris dans la configuration 3D de scènes qui le dépassent, replaçant les singeries de l’héroïne dans le cadre des situations. Par ces mises en perspective, l’humour (qui risque souvent l’hypertrophie, l’ouverture est proprement hystérique) se colore de teintes étrangères, issues du mélodrame, ou même du film d’action. Cela ne change rien au fait que l’ensemble n’a strictement rien à dire, et qu’il ne s’imprime guère en tête ; mais sur le moment il ravit.
Beyond the Rocks
Sam Wood / 1922
Théodora, qui s’est mariée à un vieil homme riche pour aider sa famille, tombe amoureuse d’un jeune Lord qui lui a sauvé la vie. (Le Droit d’aimer en VF)
Quelques spoilers. Ce mélodrame, qui réunit Valentino et Swanson pour la seule fois de leur carrière, a l’originalité de mêler deux élans contraires. D’une part, au diapason du visage pur de ses deux acteurs, il déploie tout le premier degré du romantisme (deux sauvetages, des méchantes sœurs de conte de fée, un amour rendu impossible, de grandes réceptions), non sans en explorer la traditionnelle iconographie (le film va pointer à la mer, à la montage, dans le désert, dans le passé…). Mais parallèlement, le récit envisage sérieusement la possibilité d’un adultère, en souligne le frisson érotique, montre des intrigues sentimentales calculées, et réfère même explicitement à la frivolité de Versailles. Difficile alors d’être à la fois ému et grinçant, naïf et lucide, vierge et Casanova : pour tenir son improbable équilibre, le film devra finalement botter en touche en se passant du cocu (pourtant devenu un beau personnage, sur le tard), ce qui scénaristiquement est une forme d’échec. De cet ensemble peu remuant, bien qu’impeccablement mené, on retiendra surtout deux scènes. L’une, courte mais magnifique, voit le pâle visage de Gloria Swanson se retrouver pris dans la blancheur macabre du mariage, tombeau ouvert allant droit au malheur dans une tempête de riz. L’autre est une scène de soirée mondaine (malheureusement très malmenée par les affres du temps) : une valse délicieuse de regards, de contemplations et d’évitements, de compréhensions soudaines – où, comme chez Jane Austen, l’accumulation de petits riens déchaîne des ouragans.
Le Sommeil d’or
Davy Chou / 2012
Le cinéma cambodgien, né en 1960, a vu son irrésistible ascension stoppée brutalement en 1975 par l’arrivée au pouvoir des Khmers Rouges. La plupart des films ont disparu, les acteurs ont été tués et les salles de cinéma transformées en restaurants ou karaokés.
Légers spoilers. La critique semble avoir un peu fantasmé l’âme de ce documentaire. Il y circule certes une réelle mélancolie, et le film n’a rien du reportage illustré, pour la bonne raison qu’il n’y a pas grand-chose à informer : Le Sommeil d’or entend plutôt reconstituer l’idée de ce cinéma disparu par les souvenirs épars de ses témoins, comme un songe collectif qui continuerait sa course, avec sa cohorte de fantômes, aux côtés du pays traumatisé. Ce « monde parallèle » est d’autant plus touchant qu’il est aussi celui d’une jeunesse avortée, à jamais fauchée dans ses rêveries, et d’égos étourdis par leur gloire perdue. Construit sur la frustration des images absentes, le film essaie d’en retrouver les traces par petites touches, dans les visages des adolescents d’aujourd’hui, dans les restes du cinéma d’alors (écrans cathodiques, musiques d’époques), ou encore en cherchant à même la pierre (le cinéma transformé en immeuble de fortune, peuplé de lumière spectrales et de pâles écrans de télévision, donne lieu à de superbes passages). Tout ce projet est magnifique, mais ne semble faire qu’affleurer timidement sous le poids d’un film trop sage, dont l’académisme latent (lenteurs et statisme, distance froide, entretiens plats et peu sympathiques) empêche ce potentiel d’exister autrement que par petites poches.
Divergente 3 : Au-delà du mur
Robert Schwentke / 2016
Tris et Quatre doivent fuir et franchir le mur encerclant Chicago. Mais au delà du mur, ils trouvent un monde qui classe les individus selon la pureté de leur code génétique… (The Divergent Series : Allegiant en VO)
Quelques spoilers. L’auteur de ces lignes n’a jamais aimé cette façon qu’a la critique d’aller disséquer les films mainstreams comme des objets seulement symptomatiques, qui n’auraient pas le droit de faire sens par eux-mêmes. Qu’on me pardonne donc cet écart pour ce film découvert par hasard, et dont je n’ai pas vu les premiers épisodes… C’est que le genre du “Young Adult”, venu de la littérature ado (les amours de jeunes gens, souvent confrontés à un univers SF ou fantasy oppressant) commence à prendre une place considérable à Hollywood, malgré la médiocrité patente des films qu’on peut y rattacher. Quelle nouvelles Divergente 3 nous donne-t-il du genre ? Deux choses intriguent. D’abord, le nombre incalculable de fois où les personnages ne sont que spectateurs de l’action : prétextes à la visite d’un univers ou d’un souvenir, ils s’immobilisent devant un écran, ou derrière une vitre, et regardent le film avec nous. L’un des principaux lieux de cet épisode est d’ailleurs une cabine de vidéosurveillance, où l’on observe en direct se ce qui se joue en ville : les personnages s’y repassent un moment, vont à la scène suivante, changent d’angle de caméra ou de décor, le tout dans un bain de pixels… Et là vient une deuxième incongruité : cet univers à découvrir semble terriblement petit, malgré les moyens déployés. Tout décor imposant est soit numérique (et on y croit alors pas une seconde), soit donné en spectacle par une caméra-hélico qui, soucieuse de rentabiliser le budget, annihile le mystère du lieu plutôt que de le mettre en scène. Reste alors l’impression générale d’une impuissance : une industrie du tout-montrer qui ne sait plus suggérer le vaste, ni faire croyance (cette capacité à laisser imaginer tant de choses derrière le plan), inapte à interférer avec le monde par l’action, à transformer le constat en mouvement, et les situations en récit.
Et pour finir : un immense merci à Christophe, Benjamin, MartaJns et Chow pour leur bienveillance et leurs commentaires, qui m’ont donné du courage pour tenir le cap de ce blog tout au long de l’année !
bah de rien!
\o/
(et toi bientôt tes neufs ans, est-ce que tu le vis bien ?)