Parce que s’il fallait faire un topic pour chaque film devant lequel j’ai dormi à La Rochelle, on aurait de quoi remplir ce blog jusqu’à Noël, et ce serait trop facile.
Ossessione
Luchino Visconti / 1943
Gino, un jeune mécanicien vagabond, s’arrête dans un café-garage au bord de la route, pour y manger. Il y rencontre Giovanna, la femme du propriétaire… (Les Amants diaboliques en VF)
Spoilers. Ce premier film, où resplendit déjà la maestria formelle de Visconti, en donne peut-être aussi la clé : le désir en est plus que jamais la boussole. Pas tant au sens d’une sexualité visible (quand bien même le film ne manque pas d’érotisme) : le monde y est simplement impulsion, libido. Le récit est longtemps tenu par le désir des personnages, conquête de la femme, aide intéressée d’un compagnon de route. Lorsque ce désir arrive à son terme, catastrophe : le meurtre commis, plus rien ne meut le couple, grippé dans sa mécanique, amputé de sa force vitale, engoncé dans le pourrissement d’un lieu fixe ; le volontarisme insistant du compagnon finit quant à lui en coups et dénonciation. Au point qu’en arrivant dans la chambre de sa deuxième amante, le personnage contient son désir tel un vampire, comme conscient des dommages qui en découleront naturellement, alors que la musique hésite entre une couleur romantique ou funeste… Je reste de ce fait assez dubitatif sur la dernière partie qui, si elle vient proprement clore tous les jeux de rimes et de destin du récit, fait le choix incohérent de fixer son énergie sur la promesse d’un enfant, qui semble impropre à résoudre les tourments sexués ayant secoué le film. Car le cœur battant du projet est là : si la reconfiguration phare qu’initia ce film fut évidement celle du néoréalisme, il est surtout frappant d’y voir une figure Chaplinesque (vagabond solitaire appelé par l’immense route) servir de base au dépliement d’un cinéma sensuel : l’ouverture marque certes par la façon dont elle extrait un hobo anonyme de la marche du monde, mais le récit ne démarre qu’au moment où l’on adjoint à ce pauvre un visage, gros plan fasciné et évènement, dont la beauté est le véritable modificateur de situation. Plus qu’à des questions de profondeur de champ, la beauté chantante du cinéma de Visconti tient sans doute au fait que chaque image y est d’abord l’expression d’un élan, d’un émoi tangible, qui transcende jusqu’aux décors miséreux qu’on alignait devant la caméra.
Un été chez grand-père
Hou Hsiao-hsien / 1984
Tung-tung et sa petite sœur Pi-yun partent pour quelques semaines chez leur grand-père, leur mère étant très malade. (Dong dong de jia qi en VO)
Légers spoilers. Étrange de découvrir le cinéma primitif de Hou Hsiao-hsien : encore très scénarisé et découpé, s’attardant parfois sur des détails signifiants, photo plus naturaliste, soumission à quelques archétypes… Un été chez grand-père s’inscrit dans une longue liste de films japonais et taïwanais décrivant l’été d’enfants ou d’adolescents sous forme de chronique, où de petits évènements initiatiques jalonnent un quotidien tranquille, sous le règne d’une ruralité souveraine. Les petites tragédies, découvertes ou cruauté de l’enfance, y côtoient ce qu’on devine à moitié, sans tout en comprendre, du monde des adultes. La personnalité de Hou Hsiao-Hsien se faufile néanmoins déjà à travers les canons du genre : s’il n’est pas avare en péripéties, son film semble toujours refuser de jauger l’importance des évènements. Pas qu’il les survole, mais il ne s’appesantit pas dessus : tout est mis à égalité, de la petite sœur qui vient de risquer la décapitation, aux glissades anodines qu’on fait sur le plancher. On touche peut-être là, sans forcer, au point de vue hypersensible de l’enfance, où le grave et l’anecdotique se télescopent, où tout est expérience égale. Et si le film en pâtit légèrement (il n’est pas réellement bouleversant, limité par son humilité et ses conventions), il sait au moins approcher cette parenthèse estivale avec justesse, n’y conservant que ce qui dit l’expérience et la compréhension qu’a l’enfant du monde alentours.
L’Assommoir
Albert Capellani / 1908
Gervaise a attendu Lantier toute la nuit. Mais, lorsqu’il rentre au petit matin, il chasse sa femme en pleurs et lui demande de le laisser en paix.
Spoilers. Plus aucune trace, dans ce moyen-métrage de 1908, des particularités (ou des problèmes ?) de narration qu’on remarquait dans les premiers courts de Capellani. En parfaite maîtrise, le naturalisme du cinéaste est à son aise dans celui de Zola, la droiture de son style s’adaptant paradoxalement très bien à cet univers ouvrier, miséreux et foutraque : son élégance brille d’autant plus quand il s’agit d’ordonner le chaos. L’adaptation fait un choix surprenant, dans le sens où il n’est pas nécessaire : tous les évènements (l’accident de Coupeau, la déchéance dans la boisson, le retour de Lantier) sont ici dus aux manigances d’un personnage mauvais (Virginie), et non aux coups du hasard, ou à la logique d’une déchéance sociale induite par la brutalité du milieu. Ce besoin d’une méchante (quand bien même la dimension d’une vengeance au long cours existe dans le livre), et par-là même la déresponsabilisation du contexte social dans la tragédie des personnages, ne peut évidemment qu’interroger d’un point de vue idéologique. Signalons enfin, pour clore ce film manquant tout de même un peu de moments forts, la longue scène de Coupeau face à la bouteille : elle fonctionne presque comme un plan-séquence contemporain, au sens où il ne s’agit pas d’un simple plan long, mais d’un plan tendu par l’absence de coupe, la durée transformant le jeu d’acteur en performance. Surprenant anachronisme qui mérite à lui seul de jeter un coup d’œil au film.
Mandarines
Zaza Urushadze / 2013
En 1990, la guerre fait rage en Abkhazie. Un vieil homme, Ivo, et un producteur de mandarines, Markus, tous deux d’origine estonienne, refusent de quitter leur village vide alors que les fruits de la plantation sont presque mûrs. Un jour, les combats arrivent à leur porte… (Tangerines à l’international)
On serait bien en peine de déceler dans ce petit film-fable une identité au cinéma géorgien : le style s’y dilue dans la soupe du cinéma d’auteur international. Il y a cela dit quelque chose de tellement naïf, dans cette façon de rejouer vaillamment ce petit huis-clos symbolique (deux ennemis vont devoir s’apprécier par-delà la guerre), comme si le cinéma n’était pas déjà cent fois passé par là, que l’honnêteté simplette du projet peut toucher. Le final surprend également le programme attendu du scénario, et l’on peut saluer le film pour son humilité : ne jamais utiliser ses vieux en vue d’un décalage comique feignasse, ni ses mandarines comme originalité surlignée. Le cinéaste entend plutôt mettre en scène un homme mûr, responsable, calme et raisonné, observé avec un respect bienvenu. Reste qu’on se demande bien (ou plutôt pas, malheureusement) ce qui a pu justifier le succès festivalier d’un film si commun, jusqu’à sa nomination aux oscars. Et qu’on peut s’interroger sur le choix de personnages principaux estoniens, regard neutre sur un conflit où les deux parties sont platement remises à égalité : se réfugier encore une fois dans les facilités de la fable (une guerre pour toutes les guerres, au diable les ambigüités du contexte et l’inconfort d’un point de vue) peut se lire comme une vision politique assez lâche.
Chemins croisés
George Tillman Jr. / 2015
Luke, un champion de rodéo, rencontre Sophia, une étudiante à l’université qui aspire à travailler dans le monde de l’art à New York. Le destin leur fait croiser Ira, un vieil homme au parcours amoureux tumultueux. (The Longest Ride en VO)
Le film nous vient d’Amérique précédé d’un grand succès public et d’une réputation nanardesque… Le fils Eastwood y fut notamment moqué pour le regard de collégienne énamourée dont il est l’objet – et il est vrai que la double façon dont le film le fantasme, à la fois garçon sage et corps de rêve, a le ridicule d’un érotisme arlequin. Mais on se demande bien où est l’évènement, le traitement qu’il subit n’étant pas moins risible que celui de n’importe quelle jeune actrice américaine de seconde zone… Il faudrait plutôt interroger l’imagerie que le personnage convoque, et qui a tant flatté le box-office : un vrai cow boy courtois comme on en fait plus, pur produit d’un passé idéalisé, possibilité débile de croire à nouveau en la possibilité des princes charmants. Il faut bien cela, sans doute, pour faire tenir une romance si plate qu’elle a besoin des flash-backs d’un vieux couple pour tenir la distance. Et il est bien difficile de déceler l’intérêt de comparer ces deux histoires, mise en parallèle que cette adaptation inepte et académique ne sait pas investir de sens. Britt Robertsonn, qui se faisait déjà voler la vedette par une gamine de 12 ans dans le dernier film de Brad Bird, se retrouve encore une fois à jouer le faire-valoir de tout ce barnum.
• Citons également trois films vus au festival (Le Guépard et Rocco et ses frères de Luchino Visconti, Un temps pour vivre, un temps pour mourir de Hou Hsiao-hsien), objectivement admirables, mais auxquels je suis resté froidement extérieur. Le combo clinique restauration numérique + projection numérique n’y est peut-être pas pour rien (j’y reviens bientôt).
J’avais adoré “Un temps pour vivre, Un temps pour mourir” alors j’attends avec impatience le papier sur le “combo”.
Découverte des adaptations de Nicholas Sparks?
Hello Chow, heureux de te lire ! Non, Sparks, c’était au boulot (et je n’ai pas lu le livre, bien que j’imagine que l’imbrication des deux histoires y a un rôle un peu plus clair).
Le combo dont je parle, ce serait un article sur le numérique, pas sur le film, dont je n’ai malheureusement pas grand chose à dire. Je me souviens effectivement de ton enthousiasme sur Un temps pour vivre, qui est général d’ailleurs. Il semble en effet tomber à un croisement idéal de sa carrière (manière HHH pleinement acquise, mais avant sa période plus formelle). Je ne sais vraiment pas quoi te dire, je suis resté dehors tout le temps comme un con à regarder ça comme dans une expo sur un mode “ah oui c’est intéressant”, à part quelques moments plus saisissants (le mec qui rentre se cacher affolé chez lui pendant que son frère continue tranquillement à calligraphier, la fin aussi qui m’a beaucoup surpris). Mais bon, ma frigidité en salles n’étant plus à démontrer, je ne suis pas sûr que ça révèle grand chose du film !
Je l’avais bien compris comme ça pour le “Combo” :) Le numérique a vraiment changé quelque chose, je me le suis dit hier encore sur un film (qui n’a rien à voir) comme “Tale of Tales” où Suchitzky est moyennement à son aise alors que le film a le mérite de proposer des tableaux fantastiques “en dur” devenus rares (animatroniques, maquillages…). Sur une reprise vue récemment, “Le petit garçon” d’Oshima, j’avais aussi le sentiment qu’un certain relief était expurgé. Néanmoins, actuellement il n’y a guère que le contexte de la salle cinéma qui me procure un certain plaisir pour les films, malgré le côté “netflix géant”, reprises incluses (mon Gaumont va projeter Rambo la semaine prochaine ;)), que prend les multiplexes…
Pour les adaptations de Nicholas Sparks, il y en a une par an depuis “N’oublie jamais”, avec les copies des autres studios on peut dire que c’est devenu industriel. Le réal de “La Neige est tombé sur les Cèdres” a sombré dans la mise en image de l’un de ces bouquins, et c’est fascinant de propreté. Mais chez nous c’est DTV depuis un moment…
Je suis désolé pour la déconvenue de Scott Hicks (si j’étais mauvaise langue je dirais que c’était déjà un peu imagier à la base, mais bon…).
J’adore aussi voir les films en salle, mais j’en arrive à un point à peu absurde où je m’immerge mieux dans les films vus chez moi (pour des raisons qu’on peut sans doute démêler : la lumière produite par un écran est moins plate et terne qu’une lumière numériquement projetée, la taille moindre fait que l’image est d’une précision moins clinique…). Au point que je me demande si je ferais pas mieux de regarder les films récents 6 mois plus tard comme ça, plutôt que d’essayer dans mes chroniques de trouver des raisons objectives à mes déceptions. Mais là ça devient névrotique…
Bref, ce qu’il faut sérieusement retenir de tout ça au final, c’est que t’as trouvé le moyen d’aller te farcir le Garrone !
Je n’ai pas souffert pendant la Garrone : c’est raté sur bien des points mais ça fait paradoxalement du bien sur certain point comme film, du fantastique trans-européen comme on on en voit plus trop avec des choses intéressantes à glaner.