Parce qu’on a pas toujours grand chose à dire sur les chef-d’œuvres, parce que le cinéma parfois c’est très nul, parce que je ne choisis pas toujours ce que je vois au boulot, et parce que j’ai autre chose à foutre aussi hein, hé, ho.
Ce que veulent les femmes
Nancy Meyers / 2000
Après avoir été électrocuté, un cadre macho se met à entendre ce que pensent les femmes qui l’entourent… (What Women Want en VO)
Quelques spoilers. Le film, vu d’aujourd’hui, marque surtout par son anachronisme : celui d’une Amérique d’avant le 11 septembre. Monde doré et confortable nimbé de smooth jazz, glorieux de certitudes, rayonnant de maîtrise et d’aisance, débarrassée de l’ombre du moindre doute – à l’image de Mel Gibson entamant sa danse Sinatra à la perfection. Un monde encore baigné d’illusions reaganiennes, où s’acheter un appartement à deux étages est considéré comme assez enchanteur pour que le film démarre la musique romantique qui va avec… Pour le reste, si l’aisance invisible de Nancy Meyers a quelque chose de frappant, son film est petit bras vis-à-vis d’un pitch aussi merveilleux. Une fois passée la première exploration ludique et accrocheuse du pitch (quand bien même on nous y apprend que les femmes ne pensent grosso-modo qu’à leurs robes et leur maquillage), le film frustre dans l’exploration des émotions impliquées : l’idée de tout un monde féminin mis à nu, sans défense, comme une plaie ouverte, est une ligne prometteuse avec laquelle le film se montre bien paresseux (ne surnage que l’histoire périphérique de Judy Greer, qui offre d’ailleurs au film sa seule ébauche de climax). Helen Hunt, dans l’un de ses derniers gros rôles, ne parvient pas à sauver l’arc romantique de sa platitude. Reste malgré tout un exemple saisissant de la tenue olympique du produit hollywoodien moyen dans les années 90.
En route
Tim Johnson / 2015
Les Boovs, aliens à l’ego surdimensionné, choisissent, pour échapper à leurs ennemis jurés de faire de la Terre leur nouvelle planète d’adoption. (Home en VO)
Depuis le succès d’estime de Dragons, qui redora temporairement l’image d’un studio 3D jusque là méprisé, on ne sait plus trop bien après quoi court Dreamworks. Ici, le style rond et ergonomique donne l’impression d’évoluer dans l’interface d’une console de jeu vidéo kawaï : on essaie d’imaginer le degré zéro de confiance en soi d’un studio qui pense devoir s’y adapter par peur de déplaire… Comme dans les années 70 chez Disney, les animateurs semblent avoir pris le pouvoir sur les cinéastes : le film, sans projet d’ensemble, n’est inventif qu’au niveau micro, dans l’hystérie d’un gag cartoon ou d’une idée isolée (corps qui se transforme, change de couleur, qui fait ou avale n’importe quoi), le scénario inepte ne servant que de piste de danse docile à ces broderies – au prochain film, il aura changé, mais ce sera exactement le même manège. Employant Jim Parson pour rejouer l’inadapté social, inapte à comprendre les émotions et rituels humains, Dreamworks retourne en fait l’effet Sheldon (un mépris froid et distancié du monde) pour se livrer à un petit onanisme auquel le cinéma hollywoodien contemporain (encore récemment, dans The Giver) est décidément accro : nous vendre comme un miracle qu’on aurait oublié la beauté de nos émotions humaine, de notre optimisme, de nos petits bonheur du quotidien, de notre envie de caresser les chats… Toujours la même gêne, à une époque qui a des raisons concrètes d’être inquiète, de voir l’art populaire ne plus trouver mieux que ces dernières miettes pour faire notre élégie.
Gus, petit oiseau, grand voyage
Christian De Vita / 2015
Suite à un malentendu, un oiseau n’ayant jamais voyagé sert de guide à la migration d’une famille.
Les films d’animation 3D de ligue 2 (ici une tentative européenne) semblent désormais tous sortir d’un même moule : anti-héros vaguement nerd (verbeux, inadapté à la vie et à l’amour) qui doit gagner en confiance, galerie de personnages pittoresques assurant 90 % du show, humour paresseux fondé sur le détournement parodique du quotidien (les clichés de l’adolescence, de l’hôtellerie)… Le scénario ultra-archétypal, et la réalisation anonyme, en font un projet qui ne se distingue du tout-venant télévisuel que par sa facture, si l’on excepte la brutalité tardive de son trajet vers le nord et le froid, qui prend une certaine dimension lors d’une escale sur un cadavre de paquebot. Mais la scène impressionne alors moins qu’elle ne laisse rêveur sur ce qu’elle permettrait entre les mains d’un cinéaste plus ambitieux…
Lion City
Yi Sui / 1960
Une jeune fille travaillant dans une fabrique de caoutchouc tombe amoureuse d’un jeune et riche cadre de l’usine. (Bandar Raya Singapura en VO)
On se demande bien ce qui vaut à ce film les honneurs d’une restauration de luxe. Une importance historique, sans doute, mais c’est bien tout ce qu’il reste à cette interminable bluette sociale. Le film s’ouvre en prétendant plus ou moins parler de Singapour via son anecdote, mais ses atours didactiques limitent ce projet à un fonctionnement bêta de cinéma de propagande (ce que le film ne semble pas être, pourtant, c’est là le plus absurde !) : longue exposition des situations, moralisme ambiant, personnages uniquement destinés à porter un propos… Le défaut le plus frappant est l’absence d’une réelle énonciation, sous le vernis trompeur d’une réalisation soignée qui fait un temps illusion : musique aléatoire qui commence n’importe quand et n’importe comment, dialogues sans point de tension qui répètent dix fois les mêmes choses, rythme anesthésié et égal ne désignant pas ce qui intéresse la scène… Cet à-peu-près général fait que le film ne nous parle jamais, semblant s’adresser au vide, comme manié par on ne sait quelle machine en pilote automatique. Ne reste alors à contempler que la petite démonstration sociale du scénario… Assommant.
Gunman
Pierre Morel / 2015
Jim Terrier, tueur à gages, décide un jour de tourner la page en travaillant pour une association humanitaire en Afrique… (The Gunman en VO)
Le style Europacorp ne se contente plus d’exister, il s’exporte. Via Pierre Morel en l’occurrence, l’un de ses plus glorieux ambassadeurs, qui en reproduit ici toute la vulgarité : héros d’âge mûr filmé en surhomme mutique, défilé d’acteurs de renom venant encaisser leur chèque avec une moue crispé, fascination complaisante pour une violence crade et routinière, glauque appuyé comme caution de sérieux et de réalisme, plaisir à fantasmer (puis à détruire) l’immobilier des couches friquées de la société, prétention vague à la géopolitique, rachat d’une âme à la va-vite via la figure féminine (toujours la même recette : l’exempter du traitement sordide ambiant, pour qu’elle s’impose par défaut comme respiration au milieu du film). Cerise sur le gâteau, l’Afrique comme nouveau territoire conquis : après les pays de l’est, voici une nouvelle imagerie grossière interchangeable quelqu’en soit le pays, guerre civile perpétuelle et non-loi jouant le rôle d’un nouveau Far West qu’il faut traverser entraîné et armé – du moment qu’on filme des humanitaires, où est le mal ? Une petite pensée pour Marco Beltrami, qui fut un temps le compositeur le plus prometteur de sa génération, et qui s’efface depuis quelques années dans ce genre de projets ineptes.