Parce que ça commence à faire beaucoup de films gays à la suite, dis donc, le lobby a pris possession de ce blog, le LOBBY oui monsieur !
Maurice
James Ivory / 1987
Cambridge, 1909. Maurice, un jeune homme ouvert et spontané, sympathise avec un de ses condisciples, Clive Durham. Très vite, Maurice et Clive éprouvent l’un pour l’autre plus que de l’amitié…
Étrange comme, selon les époques, certains cinémas peuvent briller différemment… Dans le paysage cinéphile des années 90, James Ivory avait l’image d’un réalisateur académique et ennuyeux, spécialiste des sages et impeccables adaptations littéraires acclamées par Télérama, tel un représentant du bon goût et des consensus mous de son temps. En le découvrant enfin aujourd’hui, je m’étonne de rencontrer un cinéaste autrement plus précieux : Maurice est confortable certes, comme l’est tout film semi-académique, mais aussi marqué par une superbe sérénité (récit plein de tact, plein d’humilité) qui effleure son histoire douloureuse comme du bout des doigts (la sobre lumière de Pierre Lhomme en est un bon exemple). Quelle curieuse oasis, dans le paysage cinématographique actuel, quel ressourcement que ce calme et cette mesure, cette absence d’épanchements dans la forme, qui jamais pourtant ne nie au récit son potentiel mélodramatique. Il est difficile d’identifier l’exacte distance qu’Ivory a vis-à-vis de ce monde dandy : s’il se refuse à totalement jouir de son imagerie (comme avait pu le faire un Pique-Nique à Hanging Rock, par exemple), s’amusant tout juste à la pervertir gentiment (l’ouverture), il est évident que ce monde Edouardien, ces fraternités de Cambridge, sont tant condamnés par le scénario que filmés avec amour… Le film tient tout entier à ce genre d’équilibre souverain. À l’image de ses personnages, il semble à la fois issu de la haute société et tenu au secret : tenant de la grande adaptation officielle (dont il a le maintien, la parure académique), et qu’on devine pourtant infiniment personnel.
Mektoub, my love : canto uno
Abdellatif Kechiche / 2018
Sète, 1994. Amin, apprenti scénariste installé à Paris, retourne un été dans sa ville natale, pour retrouver famille et amis d’enfance.
Quelques spoilers. On rentre dans le dernier Kechiche avec réticence, sachant déjà qu’on va assister à un défilé de culs matés consciencieusement, et qu’il va falloir y voir autre chose qu’un opportunisme habillé des nobles habits du cinéma d’auteur. Kechiche désamorce en partie la situation en se plaçant lui-même, via le personnage d’Amin, au beau milieu de son film. Cette présence ne joue pas tant comme justification (parce qu’on ne va pas être hypocrites : ce n’est pas parce que la croupe d’une jeune fille devient le contrechamp d’un regard de puceau qu’elle va magiquement s’en trouvée justifiée…), mais plutôt comme une façon, finalement assez franche, de prendre acte de l’appétit qui meut le film. Passés des débuts maladroits, Mektoub my love finit ainsi par s’imposer comme un opus bien plus convaincant que La Vie d’Adèle, dont il abandonne les prétentions sociologiques tartignolles (remplacées par un tableau historique plus émouvant : celui des années 90, aux ethnies mêlées et dénuées de crispations religieuses). Le film est surtout singulier pour son côté solaire, débordant d’un vitalisme enfin débarrassé du moralisme macabre qui a trop souvent accompagné ce cinéma. Kechiche reste d’un didactisme exaspérant, dans sa manière tellement pataude de produire des idées (l’ouverture, sur ce point, est atroce), et déçoit par quelques facilités coquettes (la musique classique sur la mise à bas). Mais le meilleur de son cinéma se joue comme souvent ailleurs, et la durée des scènes (celle de la boîte de nuit, par exemple) parvient toujours à faire naître d’étranges sensations, ou d’ambigües idées, de l’épuisement des corps et du regard. À tout prendre, Mektoub est donc plutôt une bonne surprise.
L’Île aux chiens
Wes Anderson / 2018
En raison d’une épidémie de grippe canine, le maire de Megasaki ordonne la mise en quarantaine de tous les chiens de la ville, envoyés sur une île servant de déchetterie. (Isle Of Dogs en VO)
Légers spoilers. Venant après The Grand Budapest Hotel, dont l’ampleur remarquable semblait enfin avoir percé les limites du système Anderson, L’île aux chiens revient à la technique de Fantastic Mr Fox, qui était peut-être son film le plus étouffant (plus aucun acteur de chair pour faire résistance à la maniaquerie du style). Ce nouvel opus est impeccable, mais confirme qu’au fond, chaque film d’Anderson suit le même double-mouvement : celui d’une pente prometteuse, puis décevante. La pente ascendante, c’est cette promesse de voir la maniaquerie transcendée, n’être qu’un point de départ à quelque chose de plus grand : après les règles du scoutisme, puis celles de l’aristocratie, c’est la rigidité de la culture japonaise (non sans un exotisme discutable) et la gentleman-étiquette anglaise (pour les voix canines) que L’île aux chiens se propose de malmener. En ressort un film macabre et martial, où les touches d’humanité (l’amour presque fantastique unissant les chiens aux humains, la quête du garçon…) resplendissent de milles feux. Puis arrive la pente descendante : les lignes de fuite du film se ratatinent. La guerre et sa dimension politique virent à l’aventure club des cinq, le refus de la servilité et du conditionnement (via le chien réticent) déclare bien trop vite forfait, les personnages féminins nullissimes viennent conventionnellement clore l’arc de chaque perso masculin en un couple pépère… Encore et toujours cette impression de dégonflement : la maniaquerie, le petit gag, cette manière de bien ranger chacun à sa place, apparaissent comme une fin en soi, et non comme un moyen singulier d’aller se cogner au monde. On attend vraiment ce jour où l’effroi de la mort, le lyrisme, une bouffée d’air quelconque, serait l’ouverture finale inattendue d’un film d’Anderson, et non un mirage passager. Pour le moment, aussi généreux soit-il (on ne boudera pas le plaisir d’une séance qui s’occupe si bien de nous, ni un tel délice côté casting), ce film n’est pour Anderson l’occasion que d’un glorieux surplace.
Docteur Jerry et Mister Love
Jerry Lewis / 1963
Professeur de chimie distrait et disgracieux, Julius Kelp souffre en silence de ne pas savoir capter le cœur des jeunes filles qui peuplent ses cours. Secrètement, il prépare un élixir grâce auquel il se transforme en crooner séduisant et sûr de lui, répondant au nom de Buddy Love. (The Nutty Professor en VO)
Le cinéma de Jerry Lewis est une rencontre que j’ai longtemps retardée, un peu effrayé à l’idée de devoir choisir mon camp. Allais-je être incapable de voir l’art derrière cet humour poussif et foireux, comme ces aveugles d’américains ? Ou allais-je auteuriser un comique merdique pour la pose, comme ces péteux de français ? Finalement, je suis assez soulagé de voir que le comique n’est pas l’enjeu fondamental ici : après tout, peu de gens pleurent de rire devant un Tati, et ce n’est pas grave car ramené à son cinéma, ce n’est tout simplement pas la question. De même, ici, si les grimaces de Lewis ne sont pas spécialement subtiles, elles sont moins une fin comique en soi que la matière première d’un film occupé à d’autres choses – par exemple à filmer leur réapparition progressive sur le visage de l’acteur, dans un final stupéfiant de gêne et de nudité émotionnelle. Ce qu’on retient d’abord de ce film, c’est sa vitalité, à commencer par celle de son festival de couleurs (du premier plan aux tubes à essais, jusqu’à la transformation en laboratoire, qui prend des airs d’action-painting). Si Tati, pour revenir à lui, s’exprimait dans l’épure et le silence (gestes saillants, sons qui percent le vide avec élégance), la science comique de Lewis s’intègre dans la pleine organicité de la comédie hollywoodienne typique, dont il conserve la convivialité et l’énergie, comme on reconfigurerait le genre de l’intérieur. Et c’est au final cette solidité de la mise en scène qui frappe, sa rigueur et sa cohérence (gags, grimaces, décors, tout fonctionne formellement de concert), son inventivité visuelle qui neutralise toute la possible superficialité de ses accents pop : on est loin de l’épuisement, des coquetteries maniéristes, ou du déficit en croyance qui frappaient le cinéma hollywoodien à cette même époque.
Les Garçons sauvages
Bertrand Mandico / 2018
Début du XXème siècle : cinq adolescents de bonne famille commettent un crime pervers. Ils sont repris en main par le Capitaine, le temps d’une croisière répressive sur un voilier. Les garçons décident alors de se mutiner…
Légers spoilers. Le cinéma français est arrivé à un point d’assèchement tel que toute friction avec le genre, avec le baroque Mélièsien, avec le fantastique ou l’onirisme, est d’emblée célébrée comme un évènement. Il n’y a certes pas à discuter la générosité de ce film, mais son manque d’effet réel sur l’esprit du spectateur, dont l’inconscient est bien peu malmené, laisse tout de même sur sa faim. Voir les jeunes ados boire un jus blanc sortir d’un fruit en forme de bite, ça ne dérangera rien en nous : à ce stade, c’est le clin d’œil entendu du symbole qui prévaut. Idem pour le catalogue de perversions, rapidement tournées en pastilles pop… Ce qui fonctionne, c’est encore le plus simple, c’est-à-dire le choix d’avoir fait jouer ces garçons par des filles, en laissant tranquillement vivre ce dédoublement à l’écran, cette cohabitation (à ce petit jeu consistant à rester sur la crête du genre sexué, Vimala Pons étincelle). Le foisonnement visuel crée lui aussi de beaux moments, mais on ne peut s’empêcher de penser que les mille et unes tentatives en ce sens relèvent moins de l’intuitif que d’une série d’essais brouillons (à l’image du montage sonore, trop plein, pénible : une phrase sur deux est inaudible), envoyant des faisceaux formels dans tous les sens en pariant que, de temps à autres, un croisement aura lieu, que quelque chose sonnera juste. Le film reste à voir pour son univers cohérent, sa texture riche, son récit curieusement peu entravé par les expérimentations. Mais on aurait aimé que le projet ressemble davantage à son ouverture (mystérieuse, évocatrice, et prometteuse d’arrière-fonds terribles), plutôt qu’à cet objet rutilant, malin et ludique, qui finit sérieusement par tourner en rond.
Ready Player One
Steven Spielberg / 2018
2045. Le monde est au bord du chaos. Les êtres humains se réfugient dans l’OASIS, un univers virtuel mis au point par le brillant et excentrique James Halliday.
Quelques spoilers. Le retour de Spielberg au grand divertissement laisse un goût mitigé. Certes, rares sont les cinéastes qui savent évoluer de manière si lisible et limpide dans la bouillie numérique des blockbusters actuels. Mais on ne peut s’empêcher de sentir l’ensemble salement désinvesti – que ce soit par ce monde virtuel laid, générique, et impersonnel, ou par ces personnages falots qui ne semblent guère le passionner (excepté Mark Rylance, sa seule marotte récente qui respire un sincère enthousiasme). Cette grande revisitation annoncée de la culture geek (soit un regard rétrospectif sur l’époque et la culture que Spielberg a lui-même participé à forger) n’est pas vraiment au rendez-vous, ou alors manque singulièrement d’amour : à quelques citations près, le monde visité est un melting-pot vague de modes visuelles imprécises (toute l’esthétique des batailles renvoie par exemple à une imagerie digest, anonyme et normée, comme ayant déjà cent fois remâché Halo et cie). Il suffit de voir la saisissante scène de Shining, où la mise en scène fluide, dramatisante et ludique de Spielberg évolue dans les décors cliniques, distants et sexués de Kubrick, pour imaginer les fruits qu’aurait donné un film se cognant continuellement au patrimoine avec ce degré de précision… Pour le reste, le côté toujours très mou de Spielberg sur le plan politique ou charnel renvoie les multiples enjeux du scénario (neutralité du net, solidarité de la culture populaire supplantant les rapports économiques, confusion entre réel et virtuel…) à des effets de manches particulièrement plats (communauté de joueurs inexistante, rébellion club des cinq, méchant versant une larme, monde totalitaire mais avec gentils flics à la fin…). Comme toujours chez Spielberg, les idées de cinéma pleuvent – mais cette fois, elles pleuvent pour rien.
The Greatest Showman
Michael Gracey / 2018
Dans les années 1870, l’entrepreneur Phineas Taylor Barnum réunit les freaks et reclus de la société pour monter un spectacle.
Légers spoilers. Ce film descend tout droit de la lignée de Moulin rouge (surcharge décorative et visuelle, mélange d’un passé historique et de musique pop, sentiments aplatis à des conventions pour être résumables en un refrain…). C’est un divertissement honnête, sans doute, et le travail maniaque des chorégraphies produit parfois des moments stimulants, mais il est impressionnant de voir combien les effets des différents efforts investis (costumes, compositions…) s’annulent faute d’un regard qui transcenderait la maîtrise. Pour un film au pitch si prometteur (raconter la genèse du cirque, rien que ça : définir ce qu’est le cirque, montrer à quel besoin il répondit dans la société), le réalisateur passe à côté de tant de possibilités que c’en est effrayant. Le ventre sadique des appétits du public, la guerre féroce entre le divertissement populaire et aristocratique, le besoin des puissances du faux dans un monde de misère noire ? Que dalle ! Tout ça ramené à un épisode de Glee (acceptons nos différences et donnons-nous la main) autour d’un Barnum transformé en personnage sucré, à peine coloré de quelques égarements familiaux. Il suffit de voir la scène, potentiellement superbe, où Barnum encore gamin, dans une maison en ruines, projette déjà ses capacités de truqueur et son amour du faux par des jeux d’ombres : il suffirait d’une scène, de prendre le temps d’apprécier l’étrangeté d’une forme ravissante et inquiétante, dans ce qu’elle annonce de manipulation et d’escroqueries futures, il suffirait d’épouser un brin la fascination des enfants. Qu’importe : en trois plans et sur quelques sons pops en plastoc, l’affaire est déjà close – le clip (ou la pub, on ne sait plus trop à se stade de croûte numérique dégueulasse) continuant déjà son impeccable route. Bref, malgré un souci du spectateur qu’on peut saluer, cet authentique projet de producteur (réunion de talents, production conséquente, aucune vision) est un ratage.
Notules
Je serai de passage au festival de la Rochelle cette année (comme à l’ouverture de ce blog, c’est-il pas beau !), et vais donc héroïquement essayer de garder le rythme, que vous ayez pas 52812 notules à vous coltiner à la fin de l’été…
Il y a une paye que je n’ai pas vu un Ivory. J’y étais bien moi dans son cinéma. Dans Chambre avec vue par exemple qui me laisse un lointain mais très agréable souvenir. Je te conseille de voir le Blow up sur le romantisme (toujours en ligne sur Arte ou dans les canaux de Youtube), c’est un beau travail sur le montage rappelant toute une tendance, précieuse et amère, très corsetée et sauvage, à laquelle appartient ce réalisateur.
– Joe Wright que j’ai prendre durant un temps pour une excroissance d’Ivory.
– Au-delà de l’agitation et malgré les maladresses du discours, moi j’ai bien aimé Ready player one. (Dès que j’en ai l’occasion je le redis) C’est pour moi avec IA l’autre versant d’une même pièce.
– Encore un mot, tu relèves l’intérêt que j’ai pu avoir pour Ladybird mais que la lecture de plusieurs critiques déçues avait un peu refroidi.
Hello Benjamin, je regarde le Blow up en rentrant !
Pourquoi une excroissance d’Ivory, Joe Wright ? Il a toujours été très maniéré, non ?
Quant à Ladybird, je veux pas le survendre. Disons que j’en attendais rien, et que ça s’est révélé une séance touchante et agréable, mais ne va peut-être pas le voir juste pour ça.