Holy Motors et Annette, les deux derniers (et seuls films que j’ai vus) de Léos Carax, m’avaient laissé l’impression d’un cinéma plein d’idées mais profondément impuissant, pingre, comme dégradé de l’intérieur. Mauvais sang, œuvre de jeunesse marquée par une pulsion visuelle bien plus gourmande et généreuse (je comprends mieux, devant ce film, pourquoi Carax fut un temps rattaché au courant de la “Nouvelle image”), est un film gonflé de romantisme naïf mais vitaliste, donnant à ce cinéma et à son style un souffle autrement plus convaincant (et ce quand bien même le macabre est déjà partout : les rues du Paris de studio semblent avoir littéralement cramé). Les idées – de lumière, de mise en scène, de son, d’inventions poétiques – surgissent à chaque seconde, dans une avalanche inspirée qui ne peut que forcer le respect.
Sans faire, toutefois, complètement passer la pilule d’un cinéma qui est par bien des aspects déjà problématique… Le film flirte en effet avec une certaine sclérose référentielle, tirant à la fois de l’héritage ostentatoire d’un Cocteau et des traits les plus caricaturaux du cinéma moderne (couple très Nouvelle vague d’un garçon qui palabre pour la fille qui refuse de coucher avec lui). La poésie de l’ensemble, ampoulée et redoutablement insistante (images poétiques de situations poétiques aux personnages poétiques débitant des aphorismes poétiques…), n’hérite pas le meilleur de ces héritages cinéphiles combinés, d’autant qu’ils s’emploient à l’écran à anoblir et romantiser une série de choses peu aimables (la lâcheté masculine faite posture, des comportements harceleurs poétisés, des femmes réduites à des poupées de cire, des mecs résumés à un virilisme coquet, sans parler de ce virus réac qui tue « les jeunes qui baisent sans amour » – virus par ailleurs totalement inexploité par le scénario).
Bref, il y a déjà beaucoup de frelaté et de vieilli sous la carapace de ce talent tout neuf, et l’ensemble a parfois bien du mal à ne pas paraître théorique. Mais pour une fois, les tours de magie continuels de la mise en scène de Carax, plus libres et chantants qu’à l’habitude, lui permettent d’emporter le morceau.