Johannes Krafft et sa femme Maria se lancent à l’assaut de la paroi nord du Piz Palü, un sommet suisse. Un bloc de glace se détache et sectionne la corde qui reliait les alpinistes : la jeune femme est précipitée dans le vide et disparaît.
Le genre allemand du “film de montagne”, que je découvre avec ce film, semble être l’aboutissement de tous ces films-mondes, lyriques et cosmiques, qui pullulent à la fin du muet : comme si l’on s’était approprié un fantasme omniprésent dans le cinéma d’alors pour le débarrasser des résidus de trivialité et de compromis qui l’habitaient encore, et le mener jusqu’au bout de sa logique.
Cette pureté, c’est le sujet du film. Le romantisme allemand y atteint un degré hystérique où la blancheur, l’immaculé, la fraicheur, touchent à leurs limites paradoxalement macabres. Quand un personnage meurt, ce n’est pas en pourrissant, mais en se figeant dans la morsure du froid – l’un des fils rouges du film consiste d’ailleurs à contempler le beau visage de Riefenstahl se sublimer dans la glace, jusqu’à flirter avec le masque mortuaire. Pureté de la montagne, pureté du jeune couple innocent (“nous sommes ensemble pour la première fois”, fait remarquer le mari) immédiatement tâchée d’un doute, pureté des mises à mort soudaines et violentes, pureté même des éléments (ces plans observant la transformation de le glace en eau, auxquels je ne dénie pas leur dimension symbolique, mais qui existent aussi dans le mouvement de cette fascination générale).
Cette névrose blanche est aussi envoûtante qu’elle est fragile : le moindre écart l’entache. Elle laisse par exemple parfois place à une facette plus fétichiste et patriotique du genre : suivi des cordées, vols en avion, tout un arsenal destiné à donner au fan des massifs ce qu’il est venu chercher en salle. Au point qu’on a parfois l’impression que c’est la perfection technique de l’Allemagne qui est mise en spectacle, dans un élan quasi-propagandiste parasitant l’épure de la ligne tragique du film. Celle-ci n’est pas aidée par un scénario certes minimal (pourquoi pas), mais surtout mal fichu (c’est plus embêtant), notamment dans les configurations qu’il propose : rien de très charismatique dans cette halte immobile du trio dans un coin de récif, rien qui permette de développer les situations autrement qu’artificiellement (je te donne mon manteau, puis mon pull…), rien qui fasse efficacement miroir au trauma d’origine.
Un film superbe et frustrant, donc, qui interroge surtout ce que le genre est capable d’offrir (le même film photocopié en boucle ? D’infinies variations sur ces motifs ?), et de mener à bout quant au projet qui est le sien, sans rien sacrifier à ses fantasmes d’absolu.
Die weiße Hölle vom Piz Palü en VO. (F) [extrait]
Mauvaise page liée pour l’extrait.
Oups, en effet, merci !