Le Règne animal Thomas Cailley / 2023

Le monde est en proie à une vague de mutations qui transforment peu à peu certains humains en animaux. François, seul en charge de son fils, fait tout pour sauver sa femme, touchée par ce mal mystérieux…

Quelques spoilers.
 

Nous voilà donc devant la 157è tentative de cinéma de genre à la française, comme dans un labo cherchant une énième fois la formule chimique qui ne soit pas instable, qui puisse convaincre le temps d’un film, qui ne s’écroule pas sous le regard charitable du “c’était bien essayé”.

Cailley a peut-être, cette fois, enfin trouvé quelque chose. La science et le doigté du cinéma d’auteur français (fantastique économe et implicite, absence de puritanisme), la grande qualité d’acteurs venus pour beaucoup du cinéma indé, les moyens techniques et financiers mobilisés, tout concourt à faire de cette tentative d’hybridation du cinéma national avec le genre un produit convaincant. La belle note du film se perçoit certes çà et là à travers de mauvais parasites radio (ici des CGI un peu foireux, là une musique trop affectée, un Romain Duris parfois mal dirigé), mais parvient malgré tout à tenir une émotion.

L’exceptionnel Paul Kircher y est pour beaucoup, inventant un étonnant trait d’union gestuel entre l’hébétude molle de l’adolescence et l’instinctivité animale, avec ses grands yeux humides et étonnés comme fil rouge, même si le mélange qu’il opère entre ces deux pôles reste toujours un peu sur le seuil, et sa transformation jamais définitivement actée. Il en va de même pour le film, bloqué comme l’était Les combattants dans un dernier acte d’errance du récit en forêt, comme incapable de percer sa propre carapace.

Cette carapace, c’est celle d’un carcan d’intentions : le surmoi cinéphile du cinéma de genre frappe encore, tant tout ici doit parler, métaphoriser, “servir”, jusqu’à la légère absurdité de ce champ de maïs tout droit sorti d’un film américain, posé là comme un décor de cinéma abstrait. Le film peine, en somme, à se surprendre lui-même par un instinct ou des réflexes un peu plus personnels que ceux de l’impeccable “film de genre d’auteur”, ripoliné et raisonné par on ne sait combien de passages en commissions (c’est particulièrement visible dans la relation père-fils, dont rien de secret n’existe plus au-delà de ce que le propos nécessite). Pour un film sur l’animalité, il en manque ici pas mal, justement : un peu de folie et d’inexplicable, quelque chose qui nous ferait, enfin, basculer dans des sensations plus organiques et instinctives (et dans un monde forestier où le merveilleux n’oublierait pas sa part d’horreur – par exemple celui d’espèces qui, par nature, se mangent).

On peut malgré tout retenir du film, au-delà de ses déflagrations d’émotion brute qui en font tout le prix (la recherche nocturne en voiture, le coming out paniqué, l’échappée finale…), un trait de personnalité réel : celui de partir d’un ensemble horrifique et anxiogène (mutation, contamination façon zombie, paranoïa sociale, mutilations), pour peu à peu transformer ce postulat en énergie positive et solaire, dans un lent basculement du regard du spectateur, qui peu à peu reconsidère le monde et sa façon de le voir. Une métamorphose animale d’abord phobique, puis désirée ; une situation sociale catastrophique, puis salvatrice ; une adolescence anxiogène, puis gonflée de l’immensité des possibles. Cette transformation, elle, a un goût tout à fait singulier, déroge brillamment aux règles attendues, et distingue réellement le film de toutes les tentatives de “genre français” ratées qui lui ont précédé.

 

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