Le Dernier duel Ridley Scott / 2021

En 1386, en Normandie, le chevalier Jean de Carrouges, de retour d’un voyage à Paris, retrouve son épouse, Marguerite de Thibouville. Celle-ci accuse l’écuyer Jacques le Gris, vieil ami du chevalier, de l’avoir violée…

Spoilers.
 

Le Dernier duel, promesse d’un film hollywoodien au scénario recherché (autant dire un animal rare, ces temps-ci), a du mal à tenir sa haute réputation.

La faute d’abord à l’absence d’un regard : celui de Ridley Scott, cinéaste pourtant ici ridiculement à son aise, circulant sans résistance aucune dans cet univers surproduit et sur-documenté (costumes, figurants, décors : rien de cette profusion ne semble jamais lourde à l’écran, la caméra s’y ballade naturellement comme elle sortirait au marché). Et c’est bien là le problème : plus sa mise en scène glisse, moins Ridley Scott semble capable de donner le moindre poids à ce qu’il filme. Les plans et situations s’enchaînent à la volée, efficaces mais sans rien élire ni réellement regarder, sans savoir mettre l’accent sur quelque situation que ce soit – le film, de fait, n’exprime pas grand-chose.

Reste donc le concept du scénario seul, dont le principe façon Rashōmon cache en fait un tour de passe-passe plus superficiel. Les règles du jeu sont hautement malléables, le film délivrant ses différentes versions du récit en jouant uniquement du hors-champ, ou de scènes qu’on coupe artificiellement trop tôt (pas une question de point de vue, donc), sans que cela ne creuse réellement les personnages (celui de Matt Damon, par exemple, restera cet homme buté et infantile d’un bout à l’autre du film). Dans la troisième partie (celle de Marguerite), Scott se met soudain à rejouer les scènes autrement, amenant tardivement et sans réellement l’assumer la question du point de vue, se montrant alors bien maladroit, voire douteux : que nous apprend par exemple réellement cette scène de viol “rejouée”, passé l’effet de style ? Le viol serait un “vrai viol” parce que le personnage y crie et pleure davantage ?

Le plus grand échec du film enfin, révélateur de sa docilité à l’époque, est son choix d’élire autoritairement où se trouve la vérité (« The Truth », qui persiste à l’image quand le reste de l’intertitre présentant le chapitre féminin disparaît) : le film se sabote alors lui-même et ses principes, paniqué à l’idée de ne pas être assez explicite sur ses positions féministes, pourtant déjà lourdement soulignées. Tout l’échec de son concept, toute sa stérilité, sont résumés dans cet intertitre, qui veut d’abord s’assurer d’être du bon côté (celui des réseaux sociaux), plutôt que de se risquer à créer de la profondeur et de l’ambigüité.

Au final, seul le combat clôturant le film, parce qu’il est extérieur à ce jeu des récits subjectifs, respire un peu de ne plus avoir à user de ces détours pour raconter son histoire. L’ambivalence alors revient en catimini dans la mise en scène (dans les intentions de chacun, dans leurs réactions, dans ce qui meut les gestes) – et le film, par quelques images intelligentes (comme cette curieuse apparition de Notre-Dame annonçant une sorte d’ère nouvelle), peut enfin se mettre à raconter des choses, plutôt qu’à constamment surveiller ses arrières comme un premier de la classe.

The Last Duel en VO.

 

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