Un jeune chef gitan, dont les femmes se disputent les faveurs, doit se marier avec la fille d’un autre clan.
Légers spoilers.
Les tziganes semblent avoir traversé le cinéma muet en pointillés, comme un fil rouge fantasmatique : déjà dans le muet danois, le gitan enlevait les bourgeoises éplorées, qui se convertissaient certes à la dure vie des forains, mais aussi au monde brûlant des passions. Dans Le Charmeur gitan, le monde tzigane n’est même plus cette incursion venue chambouler le monde rangé de la bourgeoisie : c’est une diégèse à part entière, auto-suffisante. Un univers qui reprend beaucoup au western (le camp évoque autant les caravanes de pionniers que les villages indiens du muet – on retrouve même une attaque de diligence), mais qui répond d’abord aux ordres d’un exotisme incandescent. L’extase de la vie sauvage cohabite avec des tentes aux intérieurs dignes d’un palais, la sadisme du fouet et le triolisme côtoient un romantisme immaculé, le folklorisme des costumes alterne avec des éclairs de nudité… C’est peu de dire que le prisme est large.
Le jeune Teuvo Tulio, qui n’est alors encore qu’acteur (une sorte de Rudolph Valentino local, semble-t-il), joue déjà la passion comme il la mettra lui-même en scène, quelques années plus tard : comme un phénomène inquiétant, reptilien, qui déforme le visage en grimaces et sourires sardoniques. Mais c’est un autre homme qui est ici derrière la caméra : Valentin Vaala, loin de l’approche froide et analytique de son collègue, réussit la jonction entre une façon toute humaine d’approcher le désir (son film est parsemé de gros plans frémissants, de visages caressés par la mise au point), et l’inscription de sa romance dans l’ampleur allégorique de la forêt. La nature alentours fait du camp un décor naïf et atemporel, une scène abstraite (les deux clans à lier, par exemple, ne sont séparés que d’un mince cours d’eau) ; le seul écart moderne que se permet le film (l’incursion d’un train, et d’une poursuite policière) prendra une forme brutale et violente, envoyant ensuite le héros panser ses plaies à la source, dans le calme de la forêt : le passage-éclair de la civilisation, dans le film, ressemble à un coup de griffes.
Si l’inspiration de certains moments, de certaines images, vient tutoyer Murnau, Vaala perd malheureusement trop souvent son ascendant sur le récit. Au-delà des carences objectives du script (une proto-comédie de remariage, qui brûle trop d’étapes pour mériter son final), le film a parfois tendance à se mettre un peu froidement au service des péripéties : entre la scène de noces et celle de la fête dansée (soit une bonne moitié du film, tout de même), Vaala n’aborde plus les intrigues que sous l’angle tactique (pièges et traquenards des femmes jalouses : l’humour excepté, on baigne alors dans une pure logique de vaudeville). Il n’est d’ailleurs pas étonnant qu’à ce moment, gros plans comme grands tableaux désertent les images, abandonnant toute hauteur de vue pour seulement se consacrer aux stratégies des personnages, sans les faire résonner d’aucune façon…
Le Charmeur gitan est donc d’abord la découverte d’un cinéaste (justement réputé, en Finlande), plus que celle d’un grand film. Mais cette première oeuvre, réalisée à seulement 20 ans, laisse augurer d’une exceptionnelle filmographie.
Mustalaishurmaaja en VO.