Quelques spoilers (je vous conseille vivement d’aller découvrir ce film le plus vierge possible, sans rien chercher à en savoir).
Joint Security Area, premier “vrai” film de Park Chan Wook1, se situe à un point d’équilibre a priori pas très ragoûtant : d’un côté, le cinéaste n’a ici pas encore toute sa maestria visuelle, toutes ses capacités virtuoses et baroques ; et de l’autre, en tant que tout jeune réalisateur, il est encore (plus) facilement séduit (que d’habitude) par les petits effets de pose et d’épate. Sur ce point, toute la première partie fait un peu peur (on sent à plein nez tout ce que les années 90 pouvaient avoir de modes et de daté).
L’essentiel, cependant, est ailleurs : dans le fait que ce film, pourtant peuplé d’hommes (l’enquêtrice ne vient pas confronter tout un monde masculin pour rien), est celui où Park Chan-wook va déployer une tendresse totalement inattendue. Il y a presque quelque chose de l’ordre du hacking ou du détournement dans cette infinie douceur – dans cette manière dont le film, comme trahissant le thriller nerveux qu’il a vendu au public (exactement comme les personnages trahissent leurs pays respectifs), se met à peindre la camaraderie de ces militaires retombés en enfance, qu’il observe comme un miracle ambulant, en une série de moments “chous” maniés comme un oiseau fragile, poussés à un point de tendresse et d’attentions qui leur donnerait presque des accents amoureux. Quand enfin, après une heure de ce baume, le récit Cassandre referme sa boucle et que la violence annoncée explose, le film semble se liquéfier, et la tension retomber sur des personnages sans carapace, hagards, tous nus.
Ainsi désarmé, Joint Security Area semble bizarrement renier tout ce que le thriller sud-coréen aura de plus tarte et caricatural dans l’âge d’or à venir (âge d’or dont ce film, paradoxalement, est l’un des tops départ). D’autant que les capacités encore limitées de Park Chan-wook le forcent souvent ici à se faire plus humble, plus simple et plus proche de ses personnages… Au final, loin d’être une sorte de brouillon tête à claque de la carrière à venir, ce film s’offre comme son antidote, venu résoudre à rebours tous les pièges de la future filmographie. Si les petites maladresses nombreuses (perso féminin falot, effets datés, final qui en rajoute dix couches sans savoir finir…) ont aujourd’hui disparu du cinéma de Park Chan-wook, le réalisateur n’a jamais réussi à retoucher à une telle émotion du doigt – même dans ses deux derniers opus, qui ont pourtant fait le choix, sur le tard et pour le meilleur, de ré-explorer les rapports humains sans en passer par la violence.
Gongdonggyeongbiguyeok JSA en VO.
Notes
Voilà. Son plus beau film, et de loin.
Je suis content de pas avoir été prévenu d’ailleurs (j’avais en tout cas raté les retours dessus), ça a du coup été une énorme surprise au cours d’une séance dont j’attendais rien.
Il se fait une étrange carrière en cloche inversée Park Chan-wook, avec ses meilleurs films en début et fin de filmo.