Jallikattu Lijo Jose Pellissery / 2019

Dans un village indien, un buffle promis à l’abattage s’échappe. La population s’organise pour le retrouver avant qu’il ne cause trop de dégâts matériels…

Légers spoilers.
 

Il est difficile d’apprécier les qualités de ce film, car il faut d’abord en passer par la foule de ses défauts. À commencer par cette forme boursouflée, prétentieuse (ce fier générique d’ouverture qui dure trois plombes), et ce style puérilement maniaque (dès le premier montage, qui tient absolument à caller ses cuts sur chaque tic-tac de l’horloge). Tout un film à l’image de son épilogue désastreux, qui explicite et surligne lourdement (par une comparaison inculte et bêtasse, qui plus est) ce que le film exprimait déjà avec évidence…

Le plus gros problème, cela dit, derrière cette forme inutilement nerveuse et stressée (qui donne l’impression que la moitié du film est passée à l’accéléré, Fury Road a fait des émules), c’est la vision humaine qui va au diapason : chaque petit personnage ici est médiocre et haïssable – non pas en tant que potentiel agent de la meute, mais aussi comme individu. On ne sait si le film de Pellissery se veut misanthrope, ou satirique, mais le côté hurleur et grimaçant de ses portraits (jusqu’au duel final grotesque, aux grognements ridicules) ne nous met pas de son côté. En conspuant ses contemporains plus qu’il n’explore les pulsions universelles qui pourraient tout aussi bien le concerner, le film pose un regard plus condescendant qu’horrifié sur la société qui l’entoure.

Voilà pour la carapace de vulgarité qui empêche Jullikattu d’être un grand film ; car pour le reste, il sait produire de majestueux moments, de grandes images, et a de très bonnes intuitions. Évidemment, l’idée est de montrer comment ce prétexte (un buffle évadé) va créer une situation de lynchage, qui permet à chacun de se laisser aller au goût du sang et de la violence (la viande, plus généralement, est omniprésente à l’image), et d’exulter toutes les pulsions que la société réfrène, pour au final causer plus de morts et d’autodestruction que ce que la bête provoque elle-même.

Mais c’est plus que cela que réussit Pellissery : c’est une mise en scène presque rituelle de la transe, qui explose en images grandiloquentes, terrifiantes, outrées (le concert de lampes dans la nuit, la montagne de boue finale), et qui a l’intelligence de faire de l’animal un quasi-hors-champ, en tout cas souvent peu lisible, qui détourne notre regard vers la mêlée, telle une entité taboue du chaos autour de laquelle la société explose. Plus encore, le film parvient à cultiver une phobie viscérale de la foule : chaque plan déborde de trop d’hommes, le village semble victime d’une galopante surpopulation, il sort des corps de tous les côtés de l’image, on cherche l’air. Les nuées hurlantes font des humains des sortes de nuisibles, tempête d’insectes terrifiants et angoissés se cognant bêtement à chaque apparition de l’animal, hystériques comme un peuple d’enfants dangereux. Sur ce plan, le film est indéniablement réussi, et on se demande pourquoi il a fallu le saccager avec des tics tous droits sortis d’Europacorp, qui donnent à ce projet plein de potentiel des habits adolescents.

 
 

• Un petit aparté sur les messages d’avertissement qui, depuis le début des années 2010 et sur obligation légale semble-t-il, s’affichent à l’écran dans les films indiens à chaque fois qu’un personnage fume, boit, ou est violent envers une femme. Si l’on comprend le but de la mesure sur un plan social, ces incrustations très perturbantes (sur fond blanc, même au milieu des scènes de nuit), qui clignotent à l’écran en apparaissant et disparaissant d’un plan à l’autre, commencent à sérieusement perturber l’immersion dans les récits du cinéma indien, et à saccager les films. On se demande, pour tout dire, pourquoi les cinéastes locaux n’ont pas, à l’image des réalisateurs hollywoodiens sous le Code Hays, cherché en masse à contourner cet interdit, à être inventif vis-à-vis de lui, plutôt que de laisser leurs films se faire ainsi défigurer.
 

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