Jamais je n’avais vu un film à ce point influencé par les jeux vidéo. Tout y est : le cel-shading appliqué comme un filtre uniforme sur l’ensemble, cette esthétique de ruines intemporelles aux pétales illuminées (qui tient de jeux comme Ico, Flower ou encore Journey), cette évolution non structurée et continue qui amène à chaque minute un nouvel événement scripté, une caméra fluide et tournante sans la moindre interruption1… Mais aussi l’absence de dialogues, une progression du récit fondée sur l’exploration du territoire, cet immense bout de décor lointain (une montagne à pics) comme ligne de mire donnant un but aux déplacements, ou encore cette évolution dans des espaces à la 3D appuyée (par exemple lors des passages sous-marins, avec contrôles qui résistent à la poussée vers les fonds).
Cet héritage vidéoludique généralisé pourrait être un frein, une vulgarité, qui enferme le film dans une esthétique déjà close et déjà vue (comme d’autres films SF semblent ne plus savoir que régurgiter Halo et cie.). Mais cette importation massive vient plutôt habiller le cinéma d’animation d’une forme inédite, les codes vidéoludiques prenant un nouveau visage une fois adaptés et repensés au format et à la durée du cinéma. L’ensemble reste certes un peu limité par cet univers de ruines poétisées qui, tout séduisant soit-il, ne dit rien de plus que ce que ses modèles PS2 avaient déjà exprimé. Flow importe aussi du jeu vidéo et de leurs cinématiques un kitsch latent, qui partout menace – quoique contrebalancé par l’unité et la simplicité de ce cauchemar mythologique d’eaux qui montent sans discontinuer, jusqu’à refaçonner le monde dans un cataclysme aux accents cosmiques (les aurores boréales partout présentes).
Mais passés quelques clichés, le film est un plaisir constant, ambitieux et exigeant, qui offre toujours quelque chose de fascinant à observer. Cela tient somme toutes à deux choses très simples : à la reconstitution maniaque du comportement animal (les bêtes étant à peine anthropomorphisées, à quelques nécessités narratives près comme pour le gouvernail), et au spectacle d’une ambiance changeante, constamment transformée, comme on traverserait toutes les saisons et tous les éléments, tous les types d’espaces et de lumière, toutes les humeurs.
Dans le monde finalement assez redondant du cinéma d’animation, devenu très normé derrière l’apparente diversité de ses styles graphiques, Flow se présente comme une belle injection de sang neuf, qui stimule et redistribue les cartes pour les années à venir.
Straume en VO.
Notes
Salut,
Dans l’interview accordée à Positif, Zilbalodis indique en effet qu’il n’a pas fait de story-board, car il prévoyait déjà un film constamment en mouvement, avec des plans plus ou moins longs, trop chronophage à penser en amont par des dessins.
Merci !