Spoilers.
Même si l’on voit bien que ce premier film investit tous les moyens possibles pour sécuriser son assise (filmage pellicule, 4/3 élégant, nappes de musique bourdonnantes, tournage à l’heure magique…), le résultat impressionne. Charlotte Le Bon, face à la BD sensible mais très crue de Bastien Vivès, fait pourtant ici un choix constant d’évitement et de déviation : dès qu’une scène pourrait s’aventurer trop loin dans la sexualité, elle est comme détournée vers l’étrange, le fantastique, ou les affres cotonneuses des tourments émotionnels intimes. Même les scènes plus clairement sexuelles se font via l’écrin plus convenable de l’horreur (les seins montrés au risque de la noyade), du gag (la masturbation porte ouverte) ou de l’obscurité (pudeur que le film souligne d’ailleurs d’une jolie façon, en conservant la fin du plan et son retour à la lumière, avec un rire timide et gêné).
Le film est ainsi toujours comme “sécurisé”, pris en charge par les traces éparses du fantastique ou du slasher (dont le film reprend décor et personnages) : au milieu d’une salle de cinéma remplie de familles, je me suis surpris à ne jamais me sentir mal à l’aise. Mais aussi à ne jamais être frustré de ces changements de cap, qui sur le papier pourraient ressembler à une fuite, ou à une facilité : même si c’est de façon un peu velléitaire, Charlotte Le Bon invente par ces bifurcations des myriades de charmes spectraux, ou de moments d’adolescence gênée qui touchent juste, aidée par le jeu exceptionnellement nuancé de son jeune comédien.
On peut même voir dans ce détournement un fertile changement de paradigme, qui rafraichit beaucoup des clichés du genre : si la sexualité en effet habite le film, ce n’est jamais sous l’angle fétichiste qui est plus souvent celui rattaché aux fantasmes adolescents masculins, mais dans une silencieuse révolution du rapport à l’intimité, et d’un désir plus vaste de côtoyer le monde des grands. L’adaptation enrichit alors son modèle en dialoguant avec lui, en ce qu’elle confronte un regard cinématographique “féminin” (pourrait-on le dire très caricaturalement) à un matériau de fantasmes dessinés “masculins”, rejouant dans sa mise en scène même l’hybridité et la rencontre qui est celle de son couple de jeunes personnages, qui différent par le sexe comme par l’âge.
Reste que Falcon Lake, à force de déviations troubles ou fantastiques, court au final le risque d’être simplement charmant ; et quand à la fin les moyens (le mensonge découvert qui nous recentre sur les péripéties scénaristiques, le suspense très gadget du hors-champ en voiture, la figure du fantôme) se mettent à devenir une fin en soi, et non plus les manières détournées d’exprimer les affres du désir adolescent, Falcon Lake semble se ratatiner à son statut de premier film. Un premier film qui reste, quoiqu’il en soit, l’un des plus prometteurs de l’année, le talent de sa réalisatrice s’imposant à l’écran avec une tranquille évidence.