Légers spoilers.
On peut comprendre en quoi Villeneuve rassure les fans de Dune, et on peut lui reconnaître ça : il fait le job. Il évite le ridicule, il parvient à incarner le récit de manière à peu près claire, lui donne son tribut de classe et d’élégance, y rajoute une couche de gravitas sentencieux qui « fait adulte » et flatte le geek.
Pour le reste, Villeneuve n’a pas grand-chose d’autre à offrir que le pack désormais connu du blockbuster frigide, dont Nolan et lui-même sont les émissaires assurés : passion des univers minéraux et stériles, goût pour l’immensité minimaliste, esthétique militaro-totalitaire mâtinée d’un mysticisme ancien censé lui donner une âme, insensibilité glaciale de la forme comme substitut de personnalité, images monochromes et nuits numériques ternes (voire illisibles), sons et musiques sévères qui rugissent et boostent les basses à en filer la migraine pour contrebalancer la neurasthénie et l’impuissance narrative de la mise en scène (qui nage dans diverses conventions, comme ces effets clipesques présageant le futur, qu’on croirait sortis d’une pub pour parfum). Cerise sur le gâteau glacé, une obsession intermittente pour les corps émerge ça-et-là comme un retour du refoulé (Oscar Isaac en offrande nue à son ennemi, l’obésité humide et décrépie de l’empereur, les suppliciés dont on recueille le sang par centaines…), sorte d’érotisme gore aux contours archaïques complétant logiquement l’hygiénisme puritain qui préside à la pureté de la forme.
Toutes ces manières ne sont pas une surprise : c’est un pack, une mode, une mouvance esthétique si l’on veut être gentils, que le futur analysera comme l’académisme de l’époque. Et si le récit, ce qui travaille vraiment le récit, sait bon an mal an s’incarner en images monumentales (le film égrène son lot de plans iconiques, il n’est pas question de lui disputer ce talent-là), tous les efforts du cinéaste semblent y être occupés, comme devant à tout prix tenir l’odeur du mythe, ne jamais en interrompre la note – s’il ne hurle pas à chaque seconde la chanson de sa propre grandeur, le film s’écroule sous le poids du vide. Accaparé par ces priorités, Villeneuve peine à déduire de ce grand imagier une matière narrative, se contentant souvent de lapalissades (y compris les plus rances : il faut voir la jeune fille impressionnée et soudain adoucie quand le jeune freluquet a tué au combat), tout en touillant un minimum d’allusions qui font smart (peuple blanc venant prendre les ressources de populations désertiques à la peau colorée, grand méchant se régénérant dans un bain de pétrole…) pour donner une illusion de profondeur en se dédouanant de tout réel point de vue politique. C’est un procès certes assez injuste à faire à Villeneuve, en ce que ce fond géopolitique simplifié témoigne aussi d’un souci louable de rendre l’adaptation et les enjeux clairs ; le film y perd, cependant, en se privant par là-même de toute chance d’avoir de l’intérêt sur ce plan (pas assez complexe pour être stratégique ou politique, pas assez empathique pour miser sur les personnages, ne lui reste que l’image).
Film impeccable en même temps qu’un peu vain (n’ayant pas d’autres réels buts, au fond, que de relever les défis de l’adaptation avec les honneurs), Dune n’a droit à notre tolérance que parce qu’il est autre chose que le modèle Marvel. Entre le kitsch dégueulant des superhéros et la neurasthénie frigide de ce qui lui reste d’auteurs, le blockbuster du nouveau siècle ne semble plus avoir autre chose à proposer qu’un choix binaire entre deux anonymats.
Beh en fait je me retrouve assez dans les mots choisis ici. Je suis plus indulgent sur le smart parce que c’est finalement la seule micro substance du film. Je trouvais aussi que le réalisateur parvenait à me faire apprécier certaines relations alors même qu’elles ne sont qu’esquissées (père-fils, Paul-Duncan par ex.). Peu de choses mais on se raccroche à ce qu’on peut.
Ces allusions politiques m’iraient en fait très bien si elles résonnaient avec un projet plus franc de ce côté là. Ici, à part “nous on exploite aussi votre territoire, sauf qu’on est des gentils et qu’on s’intéresse à votre culture”… Du coup ça devient juste des signes à vide. Peut-être que, comme pas mal d’éléments du film, cet aspect gagne à ce que peut prolonger et compléter la deuxième partie à venir.
Pour les relations, la seule qui m’a un peu interpellé pour ma part, en ce qu’elle me semblait la plus ambiguë et intéressante, était celle entre le héros et sa mère, mais ça reste chiche.
Salut,
Le côté smart dont tu parles puissance 100, c’est aussi le personnage de Liet Kynes je trouve (le film en fait un symbole sacrificiel, alors que dans mon souvenir le film de Lynch en faisait un personnage assez inquiétant).
Et Javier Bardem en Stilgar, c’est quand même une très grosse faute de goût, à mon humble avis.
Ha bah j’avais même pas reconnu l’ami Javier, mais j’avais trouvé l’acteur pas bon. Tu vois, on a finalement de quoi communier dans la détestation de Villeneuve ! (à défaut de pouvoir communier sur notre ami Adam)