Karl et Vigo, deux amis alpinistes, tombent amoureux de la même danseuse.
Quelques spoilers.
C’est un immense plaisir que de retrouver Fanck à ce point fiévreux, ivre de blancheur et de visions grandioses, noyé jusqu’à la déraison dans l’iconographie romantique. Son film débute par une danse, dont la transe rituelle donne le ton : aux obsessions de pureté qui seront encore l’affaire de sa filmographie quatre ans plus tard, s’ajoute ici une dimension plus profondément mythique. Dès les premières scènes, le grand théâtre aux minuscules corps ressemble ainsi à un temple ; les bras tendus du public, vers la danseuse, semblent prier le ciel ; et le parfait visage de Riefensthal, souriant de toutes ses dents, évoque quelque divinité carnivore… Le sacré du film convoque à la fois l’animisme d’un monde ancien (pic cruel, archaïque, rêvé en cathédrale de glace) et une colère divine toute biblique (soupçon d’adultère, pêché et pénitence : comme devant le Graal, le récit met la pureté de chacun à l’épreuve – l’héroïne fautive se retrouve elle-même fauchée, dans sa course, par la neige immaculée).
Si cette ivresse fait tout le prix du film, elle a aussi bien du mal à ne pas le démantibuler. L’Enfer blanc du Piz Palü était uni, comme d’un trait, par l’épure du survival ; La Montagne sacrée ressemble lui à un kaléidoscope impatient. Le film est très disjoint, d’abord occupé à explorer les mille facettes de son imagerie romantique : les personnages sautent d’un lieu l’autre, d’une situation à l’autre (tiens une brebis, tiens un torrent), parfois sans même un raccord. Le pittoresque n’est alors jamais loin – et quand l’héroïne ouvre sa fenêtre sur le printemps de la montagne, le rectangle devant elle ressemble à celui d’un tableau. Ce folklore s’empèse d’un fétichisme propre au genre, qui atteint des degrés hallucinatoires (Riefensthal excitée devant les chaussettes de montagne de son prétendant…), ce qui à terme fait des ravages : la longue compétition à ski, encart profane qui déchire le récit et son délire romantique en leur centre (faisant alors de La Montagne sacrée un objet plus bêta, une simple « variation sur la blancheur des monts »), est une entrave dont le film ne se relève pas.
Il faut attendre que la nuit tombe, et que Fanck se replie dans les tréfonds de son puritanisme, pour voir son film à nouveau produire d’immenses visions : l’image d’une montagne hurlante à l’heure de l’adultère, qui pleure et tombe en morceaux au fur et à mesure qu’on en fait l’ascension sacrificielle, suffit à relier ensemble tous les fils païens et chrétiens du récit. Ce long final, qui rendosse un peu tard ses habits macabres (superbe oraison funèbre que cette veillée nocturne, portant le deuil d’une mort que tous ignorent encore), nous donne une fois de plus l’impression que le muet est passé à côté d’un de ses chefs-d’œuvre.
Der heilige Berg en VO.
Je viens de voir, et je trouve que c’est un des chefs-d’oeuvre du muet et du cinéma tout court.
Et je pense, au contraire, que la compétition à ski est un des (nombreux) sommets du film (en terme de réalisation et de montage, ça met la misère à tous les films d’action du 21ème siècle). Elle s’insère parfaitement dans cette première partie faite de joie béate, où l’on s’extasie devant des moutons et des torrents (l’ascension de la montagne par Riefenstahl, c’est beau à se damner), avant de verser dans la tragédie absolue.
Je pense que je tiens déjà mon film de l’année.
Hello Castorp, bonne année !
J’ai rejeté un coup d’œil à la scène du coup, mais rien à faire, ça passe toujours moyen pour moi… C’est peut-être un purisme un peu puéril de ma part vis-à-vis de l’imagerie romantique (avec la compétition, on passe en effet à quelque chose de très peuplé et moderne, de très quotidien, de très prosaïque avec cette rivalité sportive et le public) : c’est pas tant le fait de la course à ski que tout l’attirail qui l’entoure, cette cassure dans l’envoutement. D’où cette impression de fétichisme de fana de montagne, dont j’ai du mal à me départir. J’avais déjà eu cette sensation sur le “Piz Palu”, d’ailleurs, avec toute la phase de sauvetage par le ciel, qui de la même façon me semblait mettre le film sur pause pour donner un aspect de la vie des montagnes en spectacle.
Après, je suis d’accord sur la maîtrise totale de l’action, c’est juste que j’arrive pas à relier les points concernant le ton, le regard (j’entends pour le côté joyeux, mais la scène est alors pas assez exaltée pour que je fasse le lien).
Sinon pour ma part je ressors aussi d’une super séance (en salle qui plus est, ce qui arrive pour tout dire plus jamais) : “Manchester by the sea”, assez impressionnant, si tu as l’occasion de le voir n’hésite pas !
Je note pour Manchester by the Sea ! J’attends ta critique.
Je ne vais quasiment plus au cinéma, donc ce sera sans doute pour dans 6 mois, cela dit.
Ah bah comme souvent, quand j’aime un film, j’ai absolument rien à dire dessus… T’as plus du tout de cinéma dans ton coin ?
Premier cinéma VO à 40 kilomètres.
Je dois vivre avec mes contradictions.
De toute façon tu rates rien la projection numérique c’est d’la merde.