Quelques spoilers.
Si Banel & Adama semble un temps évoluer sous les académismes Malickiens (champs de blés au ralenti, voix-off qui s’entrechoquent), le film parvient assez vite à s’inventer une esthétique bien à lui, et sans équivalent connu : l’Afrique sous le règne d’une lumière hallucinée, comme les yeux écarquillés, imagier épuré de couleurs SF et de clartés aigues – soustrayant les croyances du village à leur folklore pour les réincarner en un surnaturel aux contours plus opaques.
C’est sous ces auspices que le film fonctionne le mieux, au gré de visions économes et d’images mentales, qui le ramènent à sa dimension de conte singulier – le premier conte moderne du changement climatique. Le film, à ce titre, nous met dans une position étrange, contradictoire, en ce qu’il fait référence à un évènement que les personnages ne peuvent pas contrôler (le réchauffement planétaire, qu’ils semblent ignorer), tout en mettant en scène les effets de la catastrophe comme autant de punitions divines, confortant les anathèmes des membres du village. Ramata-Toulaye Sy pourrait facilement nous mettre dans sa poche en nous faisant adhérer à une jeune génération préférant légitimement son bonheur aux coutumes auxquelles elle veut s’arracher ; mais le caractère peu aimable de son héroïne, l’égoïsme d’un amour fou qui prend peu à peu les habits du délire pathologique, évitent à ce tableau romantique de se faire “mignon”. En inventant une faute originelle à leur idylle (qui donne la mesure de l’oppression à laquelle on veut désespérément s’arracher, autant qu’elle entache irréversiblement la romance), la cinéaste nous empêche de s’y identifier tout à fait, nous forçant à la regarder, nous aussi, comme un mal qui frappe la communauté.
Sous cette contradiction fertile du regard, qui confirme et condamne tout à la fois la pression sociale des traditions, l’amour que raconte Banel & Adama finit par se présenter comme autre chose : ni faute, ni révolte, mais plutôt comme un embranchement déviant des rituels coutumiers, une religion nouvelle à part entière, faite de ses propres prières païennes (les deux prénoms répétés et compulsés comme un mantra). Le film dirait alors à peu près ceci : vous avez raison de préférer votre liberté aux traditions, mais ça n’empêchera pas celles-ci de se venger de vous, et de vous rattraper – on échappe pas à leur colère. Et vouloir y échapper, en un sens, est une forme de folie.
Cette violence sous-jacente est ce qui rend le film intéressant, ce qui donne du poids et du paradoxe aux visions qu’il aligne. Sans néanmoins empêcher tout à fait, surtout dans la deuxième partie, de donner le sentiment d’un court-métrage allongé et dilaté, flottant quelque peu entre ses scènes-clé, se faisant maladroitement compilatoire de moments dont on ne comprend par ailleurs pas toujours l’enjeu. L’esthétique est souveraine, la position morale est singulière, mais le film qui y en découle ne semble pas tout à fait accouché, tout à fait habité, comme une belle filmographie en attente.