Shohei Imamura filme et interroge une Japonaise, patronne d’un bar, sur sa vie, son histoire, en la mettant en parallèle avec les événements qui ont secoué le Japon depuis la seconde guerre mondiale.
Légers spoilers.
Le cinéma documentaire des années 60 a rêvé d’un captage immédiat du réel, sans détour ni filtre moral, pour enfin aller tâter la chair crue du monde. Par la magie d’une liasse de billets obligeant le sujet à répondre à n’importe quelle question, Histoire du Japon ressemble à la concrétisation brutale de ce fantasme, comme un enfant monstrueux des aspirations du cinéma direct : l’honnêteté de l’échange est désormais affaire d’un contrat littéralement signé (d’autant plus violent qu’on l’introduit par le biais des parents et du salaire, réactivant discrètement l’imagerie d’une famille « vendant » sa fille au cinéaste). Si la parenté du procédé avec certains aspects de la télé-réalité laisse songeur, le film sait désigner la violence de son propre dispositif (faisant du contrat le prélude au portrait cauchemardesque qu’il entend dresser du capitalisme d’après-guerre), et promet le spectacle d’un entretien singulier. Ce ne sera malheureusement pas le cas : l’hôtesse interrogée, symbole acide du miracle économique japonais (c’est pour cela, jusqu’à son exil américain, qu’elle a manifestement été choisie), manie un franc-parler lié à son milieu, à son histoire, à son métier, qui entre bien peu en friction avec la crudité des questions qu’on lui pose.
Ne reste alors que le rapport de cette parole populaire à l’Histoire, vaste programme opéré par un montage forcené, qui s’organise selon plusieurs modalités : confronter la voix officielle des actualités au « parler vrai » d’un témoin pragmatique, ne vivre la grande Histoire qu’à travers ses répercussions sur la petite, ou simplement appuyer le décalage béant qui existe entre les deux (depuis le récit des préoccupations intimes de l’héroïne, les grands évènements du siècle résonnent parfois comme un chaos bien lointain). Imamura se complait bien trop dans cette dernière voie : il flirte rapidement avec un voyeurisme déplacé, s’écartant régulièrement de la pureté de son dispositif premier (une Histoire / une parole) pour aller confronter la famille, les enfants, les anciens maris, toutes les personnes impliquées, non sans une déplaisante recherche d’efficacité (aller par exemple chercher des images de la mère, au moment-même où on apprend qu’elle coucha avec le mari de sa fille). Ces moments sont d’autant plus décevants qu’ils sont rarement payants : l’exposé glaçant du projet de divorce, pendant que le mari évolue insoucieux à l’arrière-plan du cadre, est le seul moment brillant qu’on retiendra de ces tentatives douteuses.
Les poubelles de l’histoire familiale dominent ainsi le film, et le rapport entre cette intimité et les images d’archive se fait souvent superficiel, l’un courant en parallèle de l’autre sans toujours créer de rapport bien riche ni rien construire, se contentant de ressasser le cynisme terminal de l’époque. Les quelques raccords signifiants qu’Imamura invente pour recoudre tout cela paraissent bien laborieux… Seule l’hôtesse, par le spectacle de sa force vitale (caractère affirmé, beauté fière), donne corps à cette confrontation, contrechamp aux horreurs du siècle dont elle est le produit ; le dispositif, prometteur, aura lui accouché d’une souris.
Nippon Sengoshi – Madamu onboro no Seikatsu en VO.