JSA (Joint Security Area) Park Chan-wook / 2000

Une fusillade dans la Zone Commune de Sécurité séparant les deux Corées laisse morts deux soldats de l’armée du Nord. Pour désamorcer cet incident diplomatique majeur entre les deux pays, une jeune enquêtrice suisse est chargée de mener l’enquête…

Quelques spoilers (je vous conseille vivement d’aller découvrir ce film le plus vierge possible, sans rien chercher à en savoir).
 

Joint Security Area, premier “vrai” film de Park Chan Wook1, se situe à un point d’équilibre a priori pas très ragoûtant : d’un côté, le cinéaste n’a ici pas encore toute sa maestria visuelle, toutes ses capacités virtuoses et baroques ; et de l’autre, en tant que tout jeune réalisateur, il est encore (plus) facilement séduit (que d’habitude) par les petits effets de pose et d’épate. Sur ce point, toute la première partie fait un peu peur (on sent à plein nez tout ce que les années 90 pouvaient avoir de modes et de daté).

L’essentiel, cependant, est ailleurs : dans le fait que ce film, pourtant peuplé d’hommes (l’enquêtrice ne vient pas confronter tout un monde masculin pour rien), est celui où Park Chan-wook va déployer une tendresse totalement inattendue. Il y a presque quelque chose de l’ordre du hacking ou du détournement dans cette infinie douceur – dans cette manière dont le film, comme trahissant le thriller nerveux qu’il a vendu au public (exactement comme les personnages trahissent leurs pays respectifs), se met à peindre la camaraderie de ces militaires retombés en enfance, qu’il observe comme un miracle ambulant, en une série de moments “chous” maniés comme un oiseau fragile, poussés à un point de tendresse et d’attentions qui leur donnerait presque des accents amoureux. Quand enfin, après une heure de ce baume, le récit Cassandre referme sa boucle et que la violence annoncée explose, le film semble se liquéfier, et la tension retomber sur des personnages sans carapace, hagards, tous nus.

Ainsi désarmé, Joint Security Area semble bizarrement renier tout ce que le thriller sud-coréen aura de plus tarte et caricatural dans l’âge d’or à venir (âge d’or dont ce film, paradoxalement, est l’un des tops départ). D’autant que les capacités encore limitées de Park Chan-wook le forcent souvent ici à se faire plus humble, plus simple et plus proche de ses personnages… Au final, loin d’être une sorte de brouillon tête à claque de la carrière à venir, ce film s’offre comme son antidote, venu résoudre à rebours tous les pièges de la future filmographie. Si les petites maladresses nombreuses (perso féminin falot, effets datés, final qui en rajoute dix couches sans savoir finir…) ont aujourd’hui disparu du cinéma de Park Chan-wook, le réalisateur n’a jamais réussi à retoucher à une telle émotion du doigt – même dans ses deux derniers opus, qui ont pourtant fait le choix, sur le tard et pour le meilleur, de ré-explorer les rapports humains sans en passer par la violence.

Gongdonggyeongbiguyeok JSA en VO.

 
 

Notes

1 • Les deux premiers films de Park Chan-wook n’avaient pas fonctionné en salle, et lui-même n’en était pas satisfait. Ce film, qui est une commande du Myung Films (une adaptation d’un roman de Park Sang-yeon), est le premier budget important confié au cinéaste, et le premier où il déploie un goût du contrôle (film extrêmement préparé, et entièrement storyboardé) qui ne le quittera plus par la suite. Ce projet de la dernière chance pour Park Chan-wook fut au final un immense succès en Corée du Sud, lui permettant de définitivement lancer sa carrière de réalisateur.
 

Réactions sur “JSA (Joint Security Area) Park Chan-wook / 2000

  1. Je suis content de pas avoir été prévenu d’ailleurs (j’avais en tout cas raté les retours dessus), ça a du coup été une énorme surprise au cours d’une séance dont j’attendais rien.

    Il se fait une étrange carrière en cloche inversée Park Chan-wook, avec ses meilleurs films en début et fin de filmo.

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