Légers spoilers.
Comme souvent devant les séances annoncées longues (près de 3h, ici, tout de même1), la première partie d’Edvard Munch m’a été difficile. Pas que le film soit complaisant dans la lenteur ou la neurasthénie, bien au contraire : plein comme un œuf, avançant à un rythme effréné, le projet de Watkins est une sorte de bombardement, comme voulant immédiatement cerner l’œuvre de Munch par tous les fronts : misère du contexte social sordide, sinistre d’un monde bourgeois aux pulsions refoulées, enfance macabre d’une famille de morts et de maladie, premiers émois compliqués… Sans introduction ou presque, le film nous projette dans cet univers sobrement repoussant (dont il est aisé de déduire Le Cri et bien d’autres œuvres phobiques), en un chaos narratif jamais rassasié de croisements et de rencontres (allers-retours dans le temps, voix et images entremêlés, situations et commentaires superposés).
Watkins paie cette richesse par un résultat assez étouffant (pas un plan qui ne se pose, pas un seul cadre large), comme refusant par principe tout pas de recul, s’enfermant dans une intériorité d’autant plus bouillonnante que, dans les faits, la vie du jeune Munch n’est longtemps que fixité, corps silencieux et visage de cire prostrés dans un coin de la pièce, macérant dans ses pensées, ruminant ses tourments, sans que ceux-ci aient encore trouvé leur exutoire dans des toiles plus personnelles. Peu subtil, le film use et abuse tout du long d’incises sur lesquelles il revient et insiste (les souvenirs de malades crachant du sang, les moments du premier amour), les accolant sans fin et presque hasardeusement à n’importe quel moment de la vie de son héros, comme pour en tirer jusqu’à la dernière goutte de jus, avec un acharnement qui ne bénéficie ni au film, ni au personnage (qui par ce ressassement obsessionnel amoureux paraît éminemment toxique).
Le film se fait plus simple à pratiquer dans sa deuxième partie, quand le corps de Munch se met enfin en mouvement (voyage à travers l’Europe, projection des passions internes sur la toile), dessinant un parcours plus lisible qui permet au geste de Watkins de respirer un peu, quitte à ce que le film y perde en richesse évocatrice, et en possibilités de recoupements sans fin. Tout cela n’empêche pas le concept d’être génial (ce “documentaire” pris sur le vif, avec ces hésitations et regards caméra anachroniques, immergeant dans l’époque et ce monde glaçant mieux que tout autre dispositif, tout en analysant brillamment l’œuvre du peintre par de multiples chemins). Mais la note que le film veut circonscrire finit par se faire ânonnée et radotante – et malgré l’inventivité du montage, il est permis de penser qu’on n’aurait pas perdu grand-chose avec une heure de moins.
Edvard Munch, la danse de la vie en VF.
Notes
Vu au cinéma au cours d’une reprise, je l’avais trouvé en effet “génial” et j’avais trop peu vu de films à l’époque pour voir la lourdeur, ou bien, disons que la lourdeur ne me déplaît pas toujours. Peut-être aurai-je une surprise à le revoir vingt ans plus tard. Et puis le film avait quelque chose à dire sur la création, non, quelque chose d’à la fois concret et matériel et autre chose de plus inaccessible ? C’est, d’après mon souvenir (dont on se méfiera donc), un des meilleurs portraits de peintre au cinéma.
Non non, tu peux sans doute te fier à ton souvenir, car pour l’instant autour de moi je n’ai rencontré que des personnes qui avaient absolument adoré le film (bon, et aussi aucune qui voulait le revoir, donc je soupçonne que la séance ait pu être un peu éprouvante malgré tout, malgré le fort souvenir qu’elle laisse !).