Quelques spoilers.
C’est pour moi une complète découverte : je ne connaissais ni l’existence de ce film, ni le nom de son réalisateur. L’ouverture fait peur, laissant augurer une œuvre balourde aux idées surlignées, mais le film qui en découle est assez épatant – en tout cas l’est-il vis-à-vis du cinéma populaire français lambda, ou du projet platement wikipedien qu’on pouvait redouter.
L’histoire de Petiot est surtout pour Christian de Chalonge l’occasion de faire un portrait fantasmé du Paris sous l’occupation, peint comme un territoire de film fantastique, dont le tueur serait le joyeux vampire. Ce Paris en guerre est surtout marqué par le déraisonnable et par une sorte de débordement, comme un univers trop-plein, à l’image de l’emploi du temps saturé de Petiot (qui n’a pas une minute à lui), ou encore de l’argent sans fin qu’il amasse. C’est un univers carnavalesque et foutraque où tout s’est mélangé en une valse bouffonne, à commencer par les valeurs1 – univers qui est, d’une manière détournée, un moyen de mettre en scène la nature profonde de la collaboration, cette cohabitation étrange et en déni entre quotidien et horreur (puisque les crimes de Petiot eux-mêmes, évidemment, renvoient à l’holocauste hors-champ, parallèle que la scène finale et son dernier plan ne manquent pas de souligner).
Les idées sont nombreuses et le talent manifeste – il y a notamment là un grand sens des décors, de la manière de les suggérer et de les faire parler par le simple fait d’un angle de caméra bien choisi, et de réinventer un tout nouveau Paris de par leur agencement. Mais on peut se demander si tout cela aboutit à autre chose qu’au touillage de cette vision torve du monde, un peu complaisante, qui fut souvent celle de la qualité française (et du cinéma populaire national par extension).
Ce qui sauve Docteur Petiot de cet écueil, c’est qu’au-delà des liens forcément stimulants que cette fantaisie entretient avec l’Histoire (sur laquelle fatalement elle discourt), il y a comme deux lignes de fuite qui empêchent à ce carnaval d’étouffer. La première, c’est la manière dont ce film qu’on peut qualifier de lourdingue (dans son dégorgement d’idées, dans ses effets) fait de sa charge baroque un élément à part entière de la fièvre et de la confusion qui secoue alors Paris : voyez Serrault, dont le maquillage est outrancier (de grandes cernes qui le peignent en fou, ou en “être de la nuit”), et qui se met lui-même à maquiller grossièrement ses candidats à la mort (maquillage qui coulera ensuite dans leur agonie, façon clown tragique), comme pour un processus de contamination – comme s’il voulait les faire entrer dans la farandole bouffonne du film, dans ce délire collectif et cette implosion morale qui frappe alors le pays.
La deuxième ligne de fuite, c’est la manière dont la joie de Petiot (sa joie de la manipulation, sa jubilation à l’œilleton…), qui fonctionne déjà comme une sorte d’autocritique inquiète que fait le film de son propre plaisir à transformer l’horreur en cirque, se retourne contre les collabos à l’heure de la dénazification, jetant un regard brutal et inattendu sur le peuple français célébrant alors, un peu tard, quatre ans de résistance. Petiot, passant du collaborateur au résistant comme un charme, à l’image du pays et de sa population changeant de costume si facilement, adresse alors au public un curieux miroir, qui donne au film ce qui lui manquait de tranchant.
Notes
Je note.
Malevil, du même réalisateur, adapté de l’excellent Robert Merle, dont il me semble que tu es un admirateur, est très recommandable.
Heeey, j’avais pas capté du tout que c’était lui ! Bon comme toujours pour les adaptations faut que je choisisse entre le film et le livre, j’arrive jamais à en voir un sans me gâcher l’autre…
Depuis le temps que je veux le voir ce film. A sa sortie, son caractère “sulfureux”, ce n’est peut-être pas le mot, m’avait marqué, comme si le caractère malsain du récit pouvait déteindre sur le spectateur. Enfin, du coup, j’extrapolais pas mal sur Petiot sans connaître les détails de l’histoire.
Ton billet m’a donné envie d’aller voir la filmo de ce réalisateur dont le nom ne me disait en revanche plus rien. Je découvre des adaptations de Lavardin avec Poiret, ce que j’ignorais aussi. Cool, j’irai voir.
Je ne connaissais pas du tout non plus (et ne connaissais Malevil que de nom). Même si j’ai très peu de disponibilité pour le cinéma cette année (rien vu ou presque depuis février…), je suis justement entrain de rattraper le cinéma populaire français des années 70-80-90, qui m’a longtemps un peu rebuté (à tort, visiblement), et sur lequel j’ai d’immenses lacunes.