La Porte du paradis me confirme l’impression que m’avait laissé The Deer Hunter : celle d’un cinéma assez lent, avançant lourdement, étonnamment sobre et patient malgré sa débauche de moyens, et en cela assez loin des démonstrations de force fières (les grandes fresques opératiques de De Palma ou de Coppola) qui furent l’un des aspects irritants du Nouvel Hollywood.
Il reste que, la plupart du temps, le film semble se battre contre le gigantisme de sa propre production, à laquelle Cimino doit sans cesse rendre tribut : s’il y a un cortège de figurants (le défilé des caravanes, par exemple), il faut une minute de plans divers les donnant à voir, quand bien même cela ne raconte rien. La mise en avant de l’effort de reconstitution humaine (centaines de figurants dégorgeant du plan, costumes bien étudiés pour chacun) se fait constamment contre la possibilité de sélectionner ou d’exprimer des choses. L’image naturaliste, rarement hiérarchisée, laisse cette profusion de signes à égalité, dans un foisonnement visuel et sonore (le film consiste grosso-modo à alterner des moments de silence et de cris) qui rend la plupart des séquences inopérantes – la fête aux patins fatigue plus qu’elle n’enthousiasme, les pourparlers aux Heaven’s gate ne font qu’alterner déclamations et réactions outrées, le combat final perd de sa violence à n’être qu’un chaos de signes peu lisibles. Ce foisonnement cache parfois plus simplement la pauvreté des scènes, toujours extrêmement dilatées et dépliées sur tout leur long (voire cette grande valse initiale à l’université, qui a du mal à cacher qu’elle ne fait pour le principal qu’opposer dix fois aux danses mécaniques un même contre-champ de jeune fille souriant niaisement, disant dix fois la même chose).
Il y a là comme un mariage bizarre entre le modèle des grosses productions hypertrophiées, impuissantes et décadentes du Hollywood sixities, et la dépression plus politique et assumée, plus poétique aussi, qui fut propre à la décennie qui suivit. Et c’est là, au fond, que le film a réellement quelque chose à proposer sur la façon dont il regarde les États-Unis et leur histoire. Car au-delà d’acteurs qui par endroits réveillent le film (une excellente Isabelle Huppert loin de ses habituels rôles froids, un ambigu John Hurt qu’on aurait aimé plus présent), et derrière le pitch finalement assez simple qui finit par émerger de cette mêlée (quatre personnages principaux tout au plus), la première qualité de La Porte du paradis tient à ce sentiment de longue et lente décantation, comme si la grosse production, à l’image du déraisonnable pays, devait nous transmettre une image d’épuisement et de dégoût progressif d’eux-mêmes, jusqu’à ce final kitsch et défait semblant tout droit sortir de l’Amérique Reaganienne des années 80. Ce lent mouvement d’ensemble est plutôt efficace, mais c’est bien la seule chose qui peut justifier ces peu palpitantes 3h37 de film…
Heaven’s Gate en VO.