Quelques spoilers.
Superbe découverte que celle de Vijay Anand, d’autant plus à l’orée d’une période (les années 70, dont on sent déjà ici les prémisses formelles) où Bollywood sembla se replier sur un cinéma viriliste et torché, sous influence étrangère mal digérée. La grande rigueur de ce film-ci, et sa vitalité (l’incroyable transe de la scène au serpent, la béatitude de la première chanson romantique…) font au contraire de Guide une expression brillante, quoique tardive, de tout ce qui fit l’âge d’or hindi des années 50 – modèle ici simplement renouvelé par l’emploi acidulé des couleurs, et par de rares stigmates de l’époque (une tendance à la simplification visuelle, le parfum soap de certains dialogues, ou le kitsch embarrassant des décors à quelques occasions).
Dès le brillant générique d’ouverture, qui rejoue la figure du hobo en terres indiennes, c’est un chassé-croisé effréné qui marque la narration de Vijay Anand : le plan suivant et sa situation chassent déjà le précédent, le montage vif et décidé résume une vie en un instant. Le récit du film ne fonctionne pas autrement, ouvrant les histoires comme de multiples tiroirs, semblant en avoir toujours trop à raconter… Et l’on se demande parfois ce qu’il faut exactement comprendre du fond de ces multiples péripéties, qui font cohabiter des éléments progressistes (dénonciation des carcans du mariage, refus de stigmatiser les danseuses, peinture quasi-néoréaliste de l’Inde en famine…), et d’autres particulièrement rances (climax fanatique, réflexes machistes, femme forcément un peu fautive des errements de son homme).
Ces paradoxes sont plus généralement révélateurs d’un film qui, bien au-delà de l’habituel patchwork de situations et de tons caractérisant le cinéma indien, semble ici sauter d’un sujet à l’autre sans grands liens ni rapports (la passion archéologue des grottes, le délitement amoureux des couples, la religion, la corruption par la célébrité, le poids moral de la communauté sur la vie privée…), tout en leur assurant une cohérence mystérieuse par de constants effets de rimes (la grotte du mari à laquelle répond le sanctuaire final, la foule de spectateurs préfigurant celle des dévots, le guide touristique et le guide spirituel, la scène où l’héroïne donne ses spectacles et celle servant de décor aux hallucinations du jeûneur).
Où retrouver Vijay Anand dans tout ça, où se loge sa personnalité ? À première vue, on ne retient de son geste qu’une extrême efficacité – par exemple celle des chansons non dansées, qui furent parfois platounettes dans le cinéma indien (voire simplement clipesques, dans les films plus récents), et qui nous surprennent ici à être fermement découpées, obéissant toujours à une ligne directrice, ayant à chaque fois quelque chose à déplier… Mais au-delà de ces questions de performance, ce qui marque peut-être le plus est la manière dont tout ici est filmé avec cœur. Ces grottes par exemple, qui sont le hobby du principal antagoniste, sont tout à fait magnifiées : le film bizarrement, contre ses propres intérêts narratifs, nous communique la passion de cet homme délaissant sa femme, et parvient par là-même à nous faire comprendre ses raisons… Cet enthousiasme vitaliste qui déborde sans cesse du film, presque à son insu et malgré ses occasionnels défauts, emporte totalement le morceau.