On se demande d’abord ce qui sépare ce film de la simple captation de concert, qu’on aurait seulement agrémentée de vues du Maroc de l’époque et de scènes de la vie du groupe. Il se fait assez vite jour que ce qui intéresse le film, c’est cette sorte de fil rouge de la musique, et des différentes formes et incarnations qu’elle prend (en concert, répétée entre amis, chantonnée par un passant, priée ou sacrée), nous faisant passer de scène en scène à la façon d’un somnambule, plongés dans une sorte de transe sonore nous aussi. On se demande par exemple souvent comment on est arrivés dans telle scène, ou depuis quand elle a débuté ; ou bien l’on se surprend à être entrain de regarder des images de transe religieuse, alors qu’on pensait il y a encore quelques secondes être entrain de regarder les images d’un public de concert en liesse…
Plus que sa valeur dialectique, visant à mettre en relation ces diverses transes nationales (et notamment d’appuyer les racines populaires de la musique du groupe, par ces multiples chants de rue attrapés au hasard), ce continuum musical vaut surtout en tant qu’énergie capturée, qui semble traverser le film de part en part, et souvent en déborder (voir par exemple ce public de concert en extase, presque dangereux, hostile, parfois bagarreur en arrière-plan, qui à force d’exaltation pénètre sur la scène, touche les musiciens comme des idoles). La façon dont le groupe se produit appuie d’autant plus cette impression de débordement : debouts seuls sur une scène placée tout au milieu du public (comme une île de lumière au milieu d’un océan noir), qui semble fonctionner comme un aimant, un rectangle quelque peu abstrait, autour duquel l’immense peuple invisible se masse et s’agite.
Le problème, c’est que l’hypnose fonctionne aussi parfaitement sur le spectateur, qui se laisse assez vite traîner le long du film à moitié endormi, l’œil à peine vigilant, sans réellement tenter de se raccrocher aux parois qu’offrent les rares situations – et sans toujours savoir comment faire le tri entre cette singularité du film (le trip, le continuum), et les vapeurs d’un réel ennui aux scènes interchangeables et ressassées, qu’on divertirait simplement par les musiques que l’enregistrement offre à l’oreille (y étant peu sensible, j’ai pour le coup régulièrement eu l’impression de ne pas avoir grand-chose à manger). Il est possible que j’aie raté une dimension politique du film, dont les allusions m’ont semblées difficiles (les dialogues évoquent jusqu’à la colonisation portuguaise, et je lis ailleurs que le groupe se définit par le rejet du style musical égyptien…). J’ai également bien eu du mal à identifier ce qui pouvait relever d’incises plus fictionnelles. À défaut d’y voir très clair, le film glisse sur la conscience du spectateur endormi, qui ne retiendra pas grand-chose au-delà d’un fatras de sons et d’images, et de leur indéniable énergie.
الحال en VO.