Vigil est un film extrêmement imagier, ce qui n’est pas très étonnant de la part d’un jeune cinéaste des années 80. Surinvesti, visuellement gavé (pas un plan qui ne semble être gorgé de travail), le film de Vincent Ward réussit sans mal à créer d’étranges visions, à façonner de fortes ambiances (la ferme semble perdue tout au bout du monde). De cette aura mythique découle un film où chaque péripétie semble se gonfler de petits airs allégoriques.
L’ensemble cependant se condamne un peu à rester en surface. Les thématiques lourdingues qui animent le récit forment un blougi-boulga thématique (perte d’enfance, éclosion de la sensualité, deuil…) que le montage assez dispersé laisse à l’état de matériau informe, dans une espèce d’évocation constante qui se voudrait onirique, mais qui permet surtout au film de ne jamais dire grande chose de très clair. Les moments voulus fatidiques, ou à fort potentiel émotionnel (la mort du père, le rejet de Dieu, l’envol de l’arbre) sonnent ainsi un peu creux : n’ayant rien d’autre qu’un magma thématique vague auquel faire écho, ils n’apparaissent au spectateur que comme des manières, des éléments d’imagerie détachés de tout enjeu plus profond.
Ce qu’on retient alors surtout de ce film, et ce dès le dialogue d’introduction placé sous le signe du climat, c’est encore une fois cette manière étrange dont les cinéastes néozélandais filment leur propre pays : comme une terre étrangère, déraisonnable (humidité anormale, explosion de couleurs froides et saturées, vallées encaissées au relief improbable, fosses embrumées, montagnes à la topographie illisible, atemporalité qui croise et brouille les siècles à l’image). Campion avec La Leçon de Piano, Jackson avec Le Seigneur des anneaux, et maintenant Ward : tous filment ces paysages en les hallucinant, comme s’ils débarquaient d’un autre pays, et découvraient une autre planète. Comme s’ils n’avaient jamais réussi à s’y habituer eux-mêmes.