Un soldat rapatrié du front rencontre un groupe de dix orphelins, qui vivent de menus larcins. Il décide de les emmener au foyer où il fut lui-même élevé…
C’est un film enchanteur, pour des raisons cependant difficiles à cerner. Le canevas de base des Enfants de la ruche est bien peu ragoûtant, et très lisible tout au long du récit : il tient à une sorte de moralisme édifiant (“ton repas n’est bon que si tu le mérites en travaillant”, “fumer c’est très mal”…), associé à une promotion des orphelinats nationaux (la fin, sur ce point, est légèrement terrifiante).
Ce qui touche, dans l’approche de Shimizu, c’est tout autre chose. La manière, d’abord, dont ce film catastrophe (pauvreté néoréaliste, pays en ruines, malnutrition et mort) est d’abord un film estival, d’extérieur, de lumière et de grand air (le seul passage en ville, sordide, montre bien que le film ne veut pas s’y attarder). Le mélodrame se joue en plein soleil, face à des ciels immenses et des territoires offerts à la liberté des personnages. Leurs émotions étant intimement liées à ces paysages qui s’étalent autour d’eux (mère noyée dont on appelle le souvenir face à l’océan, jeune femme qu’on regarde tous ensemble voguer vers une autre île, course à travers les rizières, montagne à escalader seuls…), le drame et ses affects restent organiquement liés au monde sensible.
L’autre beauté du film, c’est la relation singulière tissée entre le soldat et les enfants. Les orphelins s’agglutinent autour des rares adultes qu’ils ont élu, comme des cannetons qui suivraient partout la mère qu’ils ont choisi ; si une autre adulte passe, le groupe peut soudain se disloquer en deux, la moitié des enfants se mettant à suivre la nouvelle venue ; un évènement attire leur attention, et les voilà tous partis ailleurs, comme des animaux distraits – ou, plus exactement comme ces nuées d’étourneaux, dont la logique d’essaim reste emprunte d’un certain mystère. Au-delà de la psychologie de chaque enfant, c’est ainsi plutôt avec le groupe, c’est-à-dire avec l’enfance elle-même (et avec ce qu’elle a d’abscons, d’incompréhensible) que l’adulte tente de communiquer. Cette imprévisibilité des échanges et réactions rend le film vogueur et baladeur, au diapason de son ton pastoral, alignant les moments étranges et différents, comme un film à sketchs qui ne dirait pas son nom.
Il est difficile de parler des Enfants de la ruche sans avoir l’impression de le réduire, ou de le caricaturer. Sa douceur générale évoque La Harpe de Birmanie (autre film débordant d’attentions en contexte guerrier), mais le style Shimizu est plus polymorphe encore, mélangeant les émotions et ressentis hybrides, comme un impressionniste les couleurs. Sa caméra est d’une instinctivité rare, ses constants nouveaux angles et points de vue trahissent un regard totalement intuitif, une mise en scène en aucun cas déduite, qui ne fait jamais programme ou système : son film, au contraire, nous parle et nous interpelle de partout, du rythme lunaire d’une séquence à la beauté ouverte des visages, n’ayant pour seul fil rouge que le fil régulier de sa marche à pieds. Malgré les défauts épars (un usage assez gauche des accélérés, une fin modique), on tient sans le moindre doute, dans cette œuvre profondément belle, un film majeur de la période.
Hachi no su no kodomotachi en VO.
“promotion des maisons de REDRESSEMENT nationales” ???
Lol, oui effectivement, je sais pas ce qui m’est passé par la tête pour écrire ça ! Peut-être cette image de gamins courant tout sourire “ouééé, on va se faire éduquer, tous à l’orphelinat !” qui m’a suggéré cette image :-)
(je corrige !)