Michel, la cinquantaine, est infographiste. Passionné par l’aéropostale, il se rêve en Jean Mermoz alors qu’il n’a jamais piloté d’avion… Un jour, Michel tombe en arrêt devant des photos de kayak : on dirait le fuselage d’un avion. C’est le coup de foudre.
Quelques spoilers.
Dans un paysage français où les comédies sont le territoire de l’audiovisuel le plus brutal (se faisant le média docile des bons mots et des stars télévisées), l’œuvre de Podalydès, où l’humour s’est toujours présenté en termes cinématographiques, reste l’un de nos trésors nationaux. Mais les défis que se lançait cette filmographie (adapter Leroux, tenir les six heures de Versailles-Chantiers) ont laissé place à des films plus modestes, qui révèlent les limites et fragilités de ce projet comique. Comme un avion menace en effet souvent de ne se résumer qu’à l’humiliation répétée des élans de son personnage. Aussi inventif soit-il être dans le détail, le film ne raconte pas autre chose qu’une tarte à la crème bien française : un semi-bourgeois, installé et en couple, étouffe de Paris et veut renouer avec la vie. Ne gérer cette patate chaude qu’en ridiculisant continuellement le projet d’escapade, comme pour s’en excuser, condamne le film à une certaine tiédeur.
C’est donc dans sa dimension créative, et non par ses esquives et pas de côté, que le film convainc : par exemple par l’invention d’une structure propre (un lieu central où chaque chemin ramène fatalement) se définissant autrement que par un simple refus de la ville. Cette belle idée ramène le récit à l’enfance sans avoir à en mimer les traits, nous remettant discrètement dans les souliers du bambin quittant régulièrement la maison pour s’imaginer de grandes aventures, alors qu’il n’a parcouru que quelques mètres, et qu’il revient fissa dès qu’on l’appelle à table. Mais l’on pourrait aussi citer le personnage de Kiberlain (moquant et soutenant à la fois son mari), qui parvient à faire cohabiter en elle la satire et l’utopie sans qu’elles ne s’annulent ; ou encore cette courte et avant-dernière étape du voyage, au sens laissé ambigu… Autant de tentatives ouvrant par leur mystère à d’autres horizons que la gêne.
Car le film souffre moins d’erreurs que de facilités. Sous l’humilité d’un feel-good movie indéniablement efficace, la complaisance n’est pas loin : les rencontres au pittoresque appuyé se trouvent vite réduites à une galerie de trognes, la sexualité qu’on veut “pastorale” tutoie la vision franchouillarde d’un monde où toute fille est d’abord un cul à prendre (en bien des sens, ce cinéma risque une auto-caricature qui menaça déjà celui des Larrieu)… Sans refuser au film sa modestie, on aimerait que l’humilité du geste ne soit pas une excuse au surplace. Le courage ici consisterait à explorer les pistes les moins évidentes de cet humour lunaire (voir jusqu’où peut mener le lyrisme d’une danse qu’on voit se déployer depuis le kayak, l’inquiétante étrangeté d’un rêve, ou la phobie d’un pêcheur), et non à se satisfaire du confort sécurisant des parenthèses enchantées (rêvons mais juste pour rire, à l’aventure mais pas trop quand même). Au risque, dans le cas contraire, que l’escapade ne soit qu’une énième accumulation de bricoles poético-tendres… La fin plus ambitieuse, dans la tension d’un face à face où les enjeux conservent leur part de secret, semble au moins avoir conscience de ce qui mérite de faire final : devant l’âge adulte qui se tient là sur la rive, prêt à négocier, la crise de la cinquantaine prend enfin une dimension plus énigmatique où la gravité a sa place.
Une petite remarque enfin à propos d’Agnès Jaoui, qui depuis son retour sur les écrans (Au bout du conte, L’art de la fugue), se réinvente un personnage à l’opposé de l’intellectuelle froide qu’elle avait souvent incarnée. Jeu terrien et populaire, sensualité à la maturité épanouie : voici l’une des plus belles reconversions de carrière qu’on ait vue chez une actrice française, arrivée au stade compliqué des premiers signes de vieillesse.
On peut également se demander si le choix de Bruno Podalydes d’interpréter lui-même le personnage principal, de tous les plans ou presque, n’inflige pas au film une pointe d’auto-complaisance… Alors que les films portés par son frère Denis (“Liberté-Oléron” évidemment, mais aussi le film jumeau “Adieu Berthe”) prenaient davantage de distance avec leur héros – distance qui n’excluait pas la tendresse.
Bonjour ! En effet, d’autant que le côté candide appuyé de Bruno n’offre pas beaucoup de résistance à la manière du film. Cela dit, j’étais aussi surpris de trouver Denis dans un rôle plus sec et plus affirmé (moins hésitant, moins lunaire), même s’il reste malheureusement à l’état d’ébauche.